Savoir quoi manger… si vaste question !

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Les trois invités de la Rencontre Tikographie : Anthony Fardet, Hélène Cadiou, Maxime Lay
Rencontres Tikographie #45 - Bien manger, cela recoupe de multiples enjeux, de santé, d'écologie, d'économie, d'organisation logistique, d'ancrage culturel... Nous avons fait le point avec un chercheur, un diététicien et une représentante de l'agriculture biologique.

Sommaire

Les intervenants

  • Hélène Cadiou, ingénieur agronome, animatrice à Bio 63
  • Anthony Fardet, chercheur en alimentation préventive et durable à l’INRAE de Theix (Unité de Nutrition Humaine)
  • Maxime Lay, diététicien libéral et ingénieur nutritionniste, auteur du blog Max le Diet

Le podcast

Vous pouvez accéder à un enregistrement « nettoyé » – pour une meilleure écoute – de la Rencontre ici :

La synthèse : Éthique et diététique des étiquettes

Un produit local est-il forcément bon pour la santé et pour l’environnement ? Un produit industriel est-il forcément mauvais ? Doit-on peser et mesurer scrupuleusement tous ses aliments pour manger sain et équilibré ? Que regarder sur l’étiquette… ou dans les yeux du vendeur ?

Nous en avons discuté lundi dernier avec un chercheur, un diététicien et une représentante de Bio 63. En commençant par préciser quelques fondamentaux.

« Le poison est dans la dose. »

Par exemple, pour distinguer la diététique, qui relève de l’art de l’assiette et de ce qu’on y met, en termes de quantité, qualité, composition et recettes, de la nutrition, qui est l’étude des besoins d’apports en nutriments, y compris cliniques, nous rappelle Maxime Lay. Et ces besoins, complète Anthony Fardet, se composent de macro-nutriments, tels que les glucides, lipides et protéines, mais aussi les fibres – « très importantes : on n’en consomme pas assez », souligne-t-il – et de micro-nutriments que sont notamment les vitamines et les minéraux.

Dès ces premiers constats, se nourrir semble relever de tout un art, pas seulement en termes gastronomiques, mais aussi de santé, avec des risques qui guettent tout consommateur.  « Le poison est dans la dose », avertit le diététicien, qui explique que « quand on nourrit un corps de façon supérieure à ses besoins, il se passe beaucoup de choses, au moins sur le long terme, et de même pour la dénutrition », la difficulté étant que « les surplus et déficits entraînent des impacts différents selon les personnes. »

Maxime Lay
Maxime Lay alerte sur le caractère addictif des aliments industriels ultra-transformés, qui « procurent un pic de plaisir immédiat ».

Hélène Cadiou, qui a participé à l’animation d’ateliers et d’études relatifs à la restauration scolaire, ajoute les préjugés qui font servir, même à la cantine, des repas déséquilibrés : « Nous avons constaté que les menus carnés comportent souvent beaucoup trop de protéines ; en conséquence, quand les cuisiniers composent des repas végétariens en conformité avec la loi Egalim, ils ont tendance à surcompenser l’absence de viande et ajoutent encore plus de protéines », explique-t-elle.

Anthony Fardet enchaîne : « en France, nous sommes de gros viandards ; et en Auvergne, avec les charcuteries, on doit l’être encore plus, avec 40% de produits carnés et un ratio de deux-tiers de protéines animales pour un tiers d’origine végétale. Les scientifiques prônent souvent 20% de protéines, dont 50% d’origine animale ; je prône plutôt un rapport deux-tiers un-tiers. »

« Les vegans et végétariens sont les plus gros consommateurs de produits ultra-transformés. »

Ceux qui connaissent ses livres ou ses conférences le savent : le combat du chercheur de l’Inrae, ce sont les aliments ultra-transformés et la règle des « trois V », à savoir l’impératif de manger plus végétal, vrai (pour non ultra-transformé) et varié. Il nous a apporté lundi deux préconisations supplémentaires issues de la poursuite de ses travaux : l’ajout d’un quatrième V, pour « vivant », impliquant d’être aussi attentif aux méthodes de production respectant ou régénérant l’environnement, et celle de commencer par l’aspect « vrai » dans ce qu’il présente comme l’arbre de décision, lorsqu’on fait ses achats alimentaires. « Il faut savoir que les vegans et végétariens sont les plus gros consommateurs de produits ultra-transformés », déplore-t-il, soulignant l’effet particulièrement néfaste des additifs inclus dans les aliments industriels pour un effet purement « cosmétique et marketing ».

Anthony Fardet
Anthony Fardet propose de conditionner la décision des achats alimentaires à la règle des 4 V : vrai, varié, végétal et vivant.

La question, précise-t-il, n’est pas la transformation des produits, qui est la règle « à moins d’être crudivore ou chasseur-cueilleur », mais de transformer plus que nécessaire afin de travailler avec des produits de mauvaise qualité, de les transporter sur de très longues distances et de camoufler ces pratiques à grands renforts d’arômes, de texturants, de modificateurs de goût, etc., particulièrement néfastes pour la santé : « ce sont des aliments qu’on customise », explique-t-il.

« Il y a une éducation au goût à faire dès l’enfance. »

L’ennui étant, précise Maxime Lay, que ces ultra-transformés sont très attirants : « on a tendance à se jeter sur ces aliments parce qu’ils procurent un pic de plaisir immédiat ». Pour résister à ces tentations conçues pour être addictives, il suggère : « il y a une éducation au goût à faire dès l’enfance ».

On apprendra d’ailleurs dans la conversation, entre autres chiffres inquiétants, que « dans les goûters des enfants aujourd’hui, c’est à 90% hyper-ultra-transformé ».

Sur les méthodes de culture, les labels et les questions alimentaires, on pourra compléter par d’autres lectures. Par exemple : « Avec bio 63, des agriculteurs locaux pionniers d’un label national mieux-disant », « Nature & Progrès garantit une alimentation de qualité par la méthode participative » ou encore le compte rendu d’une précédente rencontre : « Nourrir Clermont quand le climat s’emballe : une gageure à relever »

La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)

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Mais alors, comment se nourrir ? Comment choisir ses produits ? Pour Hélène Cadiou, il est impératif de ne pas s’arrêter à l’acte d’acheter local : « il faut aller plus loin et se poser la question du mode de production ».  Parce que des productions locales peuvent aussi être produites avec des intrants chimiques ou sous serres chauffées, elle recommande de se fier aux labels qui portent un cahier des charges « abouti et contrôlé régulièrement », citant parmi ceux-là les plus fiables : le label Agriculture Biologique, Nature & Progrès et la Biodynamie. « L’agroécologie est un concept intéressant car il porte sur des enjeux plus larges que les méthodes de culture », dit-elle.

« Dans le Puy-de-Dôme, 665 fermes bio montrent que c’est possible. »

Au fil du débat, elle en citera quelques-uns : le respect de la biodiversit ; l’apport d’« infrastructures écologiques » telles que les haies, les mares, les zones enherbées… qui ont l’avantage de procurer des auxiliaires de cultures ; la nécessité d’allonger les rotations de cultures, qui apporte une plus grande diversité alimentaire, de même que le recours à des semences paysannes qui favorisent la diversité et l’adaptation des cultures… Elle prône aussi l’achat de produits bruts à cuisiner soi-même, qui permettent de se nourrir sainement à des prix abordables.

Hélène Cadiou pendant la rencontre
Hélène Cadiou préconise d’être attentif au mode de production et pas seulement à la provenance des produits.

À la question de la viabilité de ce modèle, elle répond par la présence, rien que dans le Puy-de-Dôme, de « 665 fermes bio qui montrent que c’est possible ». Et témoigne aussi de la faisabilité d’une meilleure alimentation dans la restauration collective, avec l’exemple des avancées réalisées en partenariat avec Bio 63 dans la communauté de communes d’Ambert Livradois Forez. Ainsi les communes de Brousse, Sugères et Saint-Jean-des-Ollières se sont regroupées pour créer ensemble une cuisine pour les cantines des trois écoles. Grâce à de gros efforts, précise-t-elle, « ils préparent une centaine de repas avec 14 producteurs locaux et environ 50% des aliments produits dans un rayon de 20 km, surtout bio. »

Sur l’ambitieux projet d’Ambert-Livradois-Forez pour la restauration scolaire, lire les deux articles : « A Job, Virginie nourrit les enfants… de mieux en mieux » et « Autour d’Ambert, un projet à l’échelle de la communauté de communes »

Il a été aussi question, avec des arguments nuancés, des avantages et inconvénients de s’approvisionner en proximité. Mais aussi de la loi Egalim, intéressante selon Maxime Lay – « citez-moi un autre pays qui fait ça », interroge-t-il ; « réaliste, au moins pour le bio », ajoute Hélène Cadiou ; « mieux que rien mais pas assez ambitieuse » selon Anthony Fardet.

Ajoutez l’importance de la mastication, qui tend à disparaître de façon inquiétante dans l’alimentation liquide, molle ou visqueuse des jeunes générations ; l’intérêt de la fermentation, vieux procédé de conservation qui « coche toutes les cases » et serait à réhabiliter ; la responsabilité de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution, ou « l’urgence de disrupter » dans l’organisation de notre alimentation, comme le prônent aussi bien Maxime Lay qu’Anthony Fardet.

« Ce qui est important sur l’étiquette, c’est la liste des ingrédients. »

Ce dernier appelant à une « approche holistique de l’alimentation », dont les enjeux sont effectivement multiples. Y compris celui de la santé, rappelle Maxime Lay : en mangeant mieux, souligne-t-il, « on augmente sa capacité de santé ; ce qui signifie vivre mieux et plus longtemps. »

Retenons en conclusion quelques formules qui interpellent ou aident à s’y retrouver.  Hélène Cadiou invite à « choisir le label qui nous correspond ». Anthony Fardet indique que « ce qui est important sur l’étiquette, c’est la liste des ingrédients (l’information principale) et d’où viennent ces ingrédients. »

Et pour finir, cette sentence plus générale sur laquelle Maxime Lay nous invite à réfléchir : « nous sommes ce que nous mangeons. »

Synthèse par Marie-Pierre Demarty

La salle d'Oceania bien remplie par le public de la Rencontre
Bien que déplacée dans les salons de l’hôtel Océania, la Rencontre de ce lundi a fait le plein de public.

Autres ressources

Le schéma des « 4 V » proposé par Anthony Fardet

Cliquez ici pour télécharger le visuel (format PDF)

Présentation de Hélène Cadiou sur le bio dans le Puy-de-Dôme

Cliquez ici pour télécharger le visuel (format PDF)

Les crédits

Merci à la librairie les Volcans d’Auvergne pour le partenariat de réalisation des Rencontres Tikographie pour cette saison, et en particulier à Boris, Philippe, Lénaïc, Olivier et Gaëlle. Merci également à l’Hôtel Océania pour leur accueil.

Merci à nos invités, aux participants et à l’équipe de l’association Tikographie qui porte et organise les Rencontres.

Pour cette Rencontre spécifique ont œuvré :

  • Damien à la préparation éditoriale et à l’animation ;
  • Laura-Lou à la prise de son ;
  • Marie-Pierre aux photos et au compte rendu.
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