La Base redonne du souffle aux militants de l’écologie

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Bénévoles de la Base entourant le logo du tiers-lieu sur la vitrine
Pour réinventer les luttes, s'ouvrir à de nouveaux enjeux et prendre soin des militants, trois associations ont fondé à Clermont La Base, tiers-lieu dédié aux actions écologiques et sociales. On leur rend visite ?

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

L’avez-vous remarqué ? On entend moins parler actuellement des associations qui défendent, à l’échelle nationale et locale, les causes environnementales. Une petite musique de backlash et de découragement flotte dans l’air, encore plus sans doute depuis que l’improbable paire des duettistes Trump-Musk arrive à la tête du pays le plus puissant du monde.

J’ai déjà évoqué au début de ce mois l’idée qu’à l’échelle des territoires, au plus près du terrain, les actions très concrètes et l’invention de modes de vie résilients se poursuit, ce qui a quelque chose de réconfortant.

Ma visite du jour creuse cette idée. Les militants les plus actifs de Greenpeace, XR et Alternatiba n’ont pas disparu du paysage. Même s’ils ont pu douter, eux non plus ne lâchent pas l’affaire. Ils se sont mis à l’abri, ont fait le constat qu’ils devaient prendre soin de leur militants et reprennent des forces.

Qu’on aime ou pas leurs modes d’action, ça fait quand même beaucoup de bien de les voir s’adapter au contexte, s’ouvrir, dialoguer, cultiver leur propre résilience. Décidément, tout n’est pas perdu !

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Les groupes locaux de trois associations qui mènent les combats pour l’écologie, Greenpeace, Extinction Rébellion et Alternatiba, ont pris l’initiative de créer un tiers-lieu à Clermont, avenue Charras : la Base. Il est géré par une association du même nom. Les associations fondatrices sont résidentes du lieu, mais celui-ci accueille plus ponctuellement d’autres associations et événements.
  • Avec ses 17 mètres de vitrine, la Base peut s’ouvrir sur le quartier, classé depuis un an en quartier prioritaire de la ville, en multipliant les affichages d’information. La volonté du collectif d’animation est aussi de se rapprocher des structures à vocation sociale, pour désenclaver les sujets environnementaux, qui sont à relier aux sujets sociaux.
  • Ce lieu partagé joue aussi un rôle de motivation pour les militants, qui portent des sujets lourds et ont du mal à relancer les luttes dans une période post-covid de reflux de la mobilisation. En se côtoyant davantage, en passant plus de temps informel ensemble, ils prennent en compte leurs fragilités et retrouvent l’élan pour se réinventer.

L’endroit est atypique mais accueillant, malgré le froid qui y règne en ce jour glacial où mes hôtes allument le radiateur quand nous y arrivons. « On éteint le chauffage quand il n’y a personne parce que ce local est une passoire thermique », s’excuse Grégoire. Mais il a ses avantages : « Nous avons 17 mètres de vitrine, ce qui est inespéré en centre-ville à un prix raisonnable. Cela nous permet d’afficher beaucoup de choses bien visibles de la rue et d’informer les gens qui passent même quand ils n’osent pas franchir la porte », se réjouit François.

Mais si vous parvenez à trouver la poignée de la porte en question (bizarrement située presque au ras du sol !), vous découvrez à l’intérieur un local d’une pièce tout en longueur, presque un couloir légèrement triangulaire, mais qui respire la vie, avec ses murs clairs, ses guirlandes pimpantes, ses affichages colorés, ses meubles joyeusement dépareillés qui délimitent un coin réunion, un coin canapé et un espace bar.

Vue de l'espace intérieur de La Base
Coloré, aménagé avec du mobilier donné par les sympathisants ou récupéré en ressourcerie, le local apparaît chaleureux et accueillant. – Photo La Base

Dynamique nationale

Nous sommes à La Base. Ou plutôt la BASE, pour « Base d’Actions Sociales et Écologiques ». Ouvert depuis septembre dernier, après quelques mois de travaux réalisés par les bénévoles, ce local situé à mi-hauteur de l’avenue Charras, près de la gare de Clermont, se veut résolument un tiers-lieu, mais avec une vocation particulière, comme l’indique son nom.

Géré par une association spécialement créée pour cela, il est né à l’initiative de trois associations clermontoises qui en sont devenues les résidentes : Alternatiba, Extinction Rébellion et Greenpeace, ou plus exactement les groupes locaux de ces trois mouvements actifs à l’échelle nationale, voire internationale, dans les luttes écologiques.

« Nous avons besoin de trouver des lieux conviviaux et résilients pour réinventer les modes de mobilisation. »

La Base n’est pas le seul tiers-lieu de ce type. « Une dynamique nationale s’est créée entre ces trois organisations, il y a bien 6 ou 7 ans, pour créer des plateformes du militantisme de ce type, retrace Antoine, bénévole d’Alternatiba et engagé, comme tous ceux qui me reçoivent, dans le collectif d’animation du lieu. Il y en a une dizaine en France. Depuis le covid notamment, on faisait le constat qu’on a du mal à trouver un nouveau souffle du militantisme ; il y a des recettes qui ne fonctionnent plus et nous avons besoin de trouver des lieux conviviaux et résilients pour réinventer les modes de mobilisation. »

À Clermont, le rapprochement s’est fait d’autant plus naturellement, ajoute Pivot, militant d’Extinction Rébellion, que « les différences entre nos organismes sont moins marquées localement qu’à l’échelle nationale. » Engagé dans plusieurs de ces mouvements, François constate que « les revendications sont globalement similaires, mais chaque organisation a ses thèmes de lutte propres, qui peuvent se rejoindre mais pas sur tous les sujets. »

La longue vitrine de la Base
Les 17 mètres de vitrine permettent de multiplier les affichages et de s’ouvrir sur le quartier.

S’ouvrir au social

Grégoire, qui vient pour sa part de la mouvance Greenpeace, enchaîne sur la façon dont ces consignes ont été déclinées localement : « Nous étions en veille sur les opportunités mais ce n’est pas évident de trouver des locaux qui conviennent à nos besoins et à nos possibilités. Nous avons repéré celui-ci il y a deux ans. Il avait à un moment été utilisé par la Ville comme maison du projet de réhabilitation du quartier. » Antoine ajoute : « La Mairie souhaite d’ailleurs avoir avec nous un partenariat dans la durée, car le quartier est classé en QPV depuis un an et elle nous encourage à nous rapprocher des autres associations, car elle ne souhaite pas œuvrer seule dans cette politique des quartiers prioritaires. »

« C’est une façon de désenclaver nos luttes. »

Pour autant, le collectif se sent aligné sur ce souhait : « Cela fait aussi partie de la dynamique de nos organisations nationales de rapprocher les mouvements écologiques et ceux à vocation sociale ; elle avait été amorcée avec l’Alliance écologique et sociale. C’est une façon de désenclaver nos luttes », poursuit Grégoire.

Née de ces différentes conjonctures et rapprochements, la base trouve peu à peu son rythme de croisière et de fonctionnement. « Notre programme n’a jamais été aussi rempli que ce mois de janvier. On a au moins deux événements par semaine », constate Pivot avec satisfaction. Et le rapprochement avec les associations déjà implantées dans le quartier va trouver une première concrétisation le 21 février, dans un événement festif sous la forme d’une Disco Soupe.

Grégoire, Pivot et François, derrière le comptoir du petit bar de la Base.
Derrière le petit bar fabriqué par un bénévole, Grégoire, Pivot et François, les premiers membres du collectif d’animation à m’accueillir. Peu à peu rejoints par d’autres bénévoles, ils témoignent de tout ce que ce lieu apporte à la communauté des militants.

Tous s’accordent à dire que le projet « prend ». Et en sont soulagés… parce que, comme le reconnaît François, « quand on a lancé le truc, on a eu des moments de doute, même sans se le dire entre nous. Il fallait être sûr d’assumer le loyer, de pouvoir mener le projet. Sans être angoissés, on était vigilants. » Arrivée entretemps en vue de participer à la réunion mensuelle du collectif d’animation, Estelle ajoute : « Il y a aussi tout le temps passé à élaborer le projet, sans compter les travaux. C’est du temps de bénévolat, qu’on n’a pas pu consacrer à d’autres actions. »

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Résidents et invités

Mais alors, que se passe-t-il à la Base et à quoi sert le lieu ? Un coup d’œil au programme du mois, justement, en donne une première idée : loin d’être repliée sur les activités des trois collectifs résidents, elle est ouverte à toute association qui souhaite proposer une animation.

Sur l’agenda, on relève ainsi une fresque du numérique, une présentation de la formation Animacoop, une autre de la Ligue pour la protection des oiseaux et encore une du collectif qui lutte, dans le Cantal, pour la préservation de la narse de Nouvialle, une réunion d’information sur les Cigales, une soirée de soutien à la lutte des Sucs

Présentation en vitrine des trois assos résidentes
Présentation, sur la vitrine de la Base, des trois associations fondatrices du lieu, qui en sont les résidentes permanentes.

Vu de plus près, le tiers-lieu fonctionne avec différentes strates d’accueil. La première concerne les trois structures fondatrices : « C’est l’association La Base qui gère le lieu, et Greenpeace, Alternatiba et Extinction Rébellion sont ‘résidentes’. Elles participent au financement du fonctionnement, mutualisent des moyens, bénéficient de facilités, mais le lieu n’est pas réservé à ces trois résidents », explique Pivot.

« Les structures doivent être en accord avec nos valeurs et respecter notre charte. »

Grégoire développe : « Pour les non-résidentes, il y a deux types d’accueil : tout type d’associations peut demander le lieu pour un événement ponctuel ouvert au public ; et certaines associations peuvent demander à venir plus régulièrement, comme c’est le cas pour Concordia. Nous avons mis en place un processus d’accueil, avec des conditions de contribution financière. Surtout, les structures doivent être en accord avec nos valeurs et respecter notre charte. »

Une partie du comité d'animation, dans le local de La Base
Tiphaine, Antoine, Estelle, Grégoire et François… bien emmitouflés en attendant les effets du chauffage et le début de la réunion mensuelle du comité d’animation.

Valeurs partagées

Les deux pages de cette dernière reflètent effectivement les valeurs et l’esprit du lieu. Elle égrène les grands principes partagés par les fondateurs : indépendance politique, transparence de fonctionnement, gouvernance partagée, radicalité écologique – « c’est-à-dire l’idée d’aller à la racine des problèmes, d’en reconnaître le caractère systémique et le lien avec les questions sociales », précise Grégoire – ainsi que la bienveillance, la solidarité, l’inclusivité et la non-violence.

Au-delà des événements, le programme mensuel affiche aussi des permanences de la Base, où l’on peut librement venir se renseigner et rencontrer des membres du collectif d’animation. Extinction Rébellion tient aussi ses propres permanences, alors que ses deux co-résidents doivent encore s’organiser pour en faire autant.

L'intérieur du local lors de la soirée d'ouverture
Le principe est celui d’un tiers-lieu ouvert, vivant, accueillant des événements proposés par les résidents ou par d’autres associations. Démonstration de sa convivialité dès la soirée d’ouverture… – Photo La Base

Au-delà de ces conditions de fonctionnement fixées noir sur blanc, les résidents s’accordent à trouver d’ores et déjà de multiples bénéfices à partager ce local.

La plus évidente est purement pratique : « On se sent mieux ici que dans des salles municipales impersonnelles, qu’il fallait en plus réserver bien à l’avance. Ça facilite la réactivité pour se réunir, ou l’accueil de nouvelles personnes », commence François. Un avantage d’autant plus important que ces organisations, connues à l’échelle nationale, sont une porte d’entrée pour des personnes récemment arrivées à Clermont et cherchant à s’intégrer, comme en témoignent Pivot, ou Tiphaine, arrivée vers la fin de l’entretien.

Lire aussi l’entretien : « Greenpeace Clermont, des dossiers thématiques aux actions terrain multiformes »

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175 adhérents

L’effet vitrine, les permanences, les événements permettent aussi une grande visibilité, qui attire la curiosité et fait connaître la présence de ces groupes locaux. « Même si on sait que pour que ça se transforme en apport de nouveaux bénévoles, c’est du long terme », concèdent les animateurs.

Ils se réjouissent tout de même d’avoir réuni beaucoup de monde dès la soirée d’ouverture du lieu en septembre, et d’avoir réussi le financement participatif qui leur a permis, au-delà des dons de meubles et de matériel, de parfaire l’aménagement du lieu.

« C’est souvent dans les échanges informels que naissent les idées d’action. »

L’association La Base compte aujourd’hui, grâce à ces opérations et à cette visibilité, 175 adhérents. « Ils ne sont pas tous actifs, mais ils nous suivent, ils sont informés et peuvent être mobilisés au besoin », commente François.

Le fait de se côtoyer plus régulièrement change aussi l’interaction entre bénévoles. « On se connaît mieux », dit Grégoire. « Nous avons plus de temps de convivialité informelle, parce qu’on n’est pas obligé de quitter la salle dès la fin d’une réunion. Et c’est souvent dans les échanges informels que naissent les idées d’action », ajoute Antoine.

Participants à la soirée d'ouverture, dans la rue, devant La Base
La soirée d’ouverture, en septembre dernier, a fait le plein… et même débordé sur la rue, à une période où elle était piétonne. – Photo La Base

Prendre soin des militants

Grégoire souligne même un effet bien-être que tous expérimentent : « Avoir un lieu nous permet d’aborder la question du soin militant. Car nous portons des sujets pesants et on a vu beaucoup de militants s’épuiser ou se décourager après quelques mois d’engagement. Prendre soin de nos relations, avoir des occasions d’en parler permet de vivre mieux ces questions difficiles. » Estelle complète : « quand on reste entre nous après une réunion, ça permet d’évacuer plein de choses. »

« Nous portons des sujets pesants et on a vu beaucoup de militants s’épuiser. »

Enfin, l’accueil d’événements organisés par d’autres associations, la prise de contact avec les organisations sociales du quartier sont autant d’ouvertures qui peuvent contribuer à donner un nouveau souffle aux actions des co-fondateurs. « Ça crée des ponts avec des associations avec qui nous n’étions pas en contact et cela permet de mettre en avant nos combats communs », souligne Estelle. Tandis que François se réjouit de pouvoir faire connaître des luttes qui sont peu connues ou peu représentées à Clermont, comme la Lutte des Sucs qui s’oppose à la création d’un tronçon de route à quatre voies, jugé inutile, en Haute-Loire.

Après cette longue période consacrée à faire aboutir ce projet, et maintenant que le tiers-lieu est sur les rails, les bénévoles se réjouissent de pouvoir relancer et même réinventer leurs actions en faveur des urgences écologiques et sociales.

Avec un rêve que formule François en conclusion : « que le lieu vive bien, que ça s’amplifie tellement que dans un an, il nous paraisse trop petit ! »

La Base est située au 31, avenue Charras à Clermont-Ferrand. Pour prendre contact, connaître le programme ou les modalités d’adhésion ou d’utilisation du lieu, consulter le bio-site de l’association.

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé mardi 14 janvier 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf indication contraire. A la une, photo La Base : bénévoles devant la vitrine du tiers-lieu, à l’époque (estivale !) de l’ouverture. On reconnaît notamment Pivot (en bas à gauche) et François (à droite).

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