Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Tikographie organise ses propres événements (notamment les Rencontres) mais peut également accueillir des ateliers proposés par ses membres. Ce fut le cas lundi 20 janvier avec la Fresque du Facteur Humain, co-animée par Patricia Auroy – adhérente et membre de notre Conseil d’Administration – et Damien Verillhe, animateur du réseau GERME sur l’Auvergne (réseau de progrès du management).
Il y a beaucoup de Fresques différentes désormais, la plupart étant dérivées de la Fresque du Climat. Nous avions notamment suivi et raconté dans ces pages la Fresque de la biodiversité et la Fresque de l’économie circulaire. Celle du Facteur Humain porte sur les blocages psychologiques – d’origines variées – qui peuvent compromettre notre capacité à changer nos habitudes.
Merci à Patricia et Damien pour l’animation et aux 12 participants qui nous ont rejoint. J’étais le numéro 13, plutôt chanceux car je me suis glissé dans la pièce pour prendre des notes et des photos. Cet article est donc basé sur un entretien préalable avec Patricia et Damien, et illustré par des photos de la Fresque du 20 janvier.
Damien
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- La Fresque du Facteur Humain est un atelier en collectif de 12 personnes maximum, qui se réunissent autour d’une table pendant 3 heures avec un ou deux animateurs. Le plateau de jeu et les cartes permettent de travailler sur les résistances psychologiques, principalement inconscientes, qui empêchent le changement et l’adaptation.
- Basée sur les travaux scientifiques du GIECO (le pendant « sciences cognitives » du GIEC), cette Fresque décortique le formatage du cerveau à travers les clés que sont les croyances, les émotions ou encore les biais cognitifs. Les participants de l’atelier sont ainsi amenés à donner des exemples personnels pour illustrer ces points et les évoquer en groupe.
- La Fresque du Facteur Humain ne propose pas de plan d’action à la fin de l’atelier car ces derniers sont spécifiques à chaque participants, selon leurs propres résistances – qu’ils auront alors mieux cernées.
Tikographie : pourquoi le “facteur humain” – parfois précédé d’un “putain de” – est-il si problématique ?
Damien Vérillhe : Parce que je crois qu’on ne sait pas comment fonctionne notre cerveau. La plupart des êtres humains imaginent qu’on réfléchit et qu’on agit après. Et c’est confortable de penser ainsi ! En même temps, ça apporte des tas de difficultés.
Et donc, l’idée de la fresque du facteur humain, c’est de comprendre qu’il y a des choses qui se passent indépendamment de notre volonté.
Tiko : Quelle est la base scientifique de la Fresque du Facteur Humain ?
Patricia Auroy : En fait, la fresque s’appuie sur les travaux [de] trois organisations, dont le groupement international d’experts sur le changement de comportement [GIECO] qui travaille sur la base des neurosciences.
Ces dernières montrent que, depuis la préhistoire, notre cerveau est formaté d’une certaine façon. Il va conditionner nos réactions en cas de peur, d’émotion, etc., par exemple pour se défendre face aux animaux sauvages. C’est pourquoi l’on va déclencher des réflexes de peur, par exemple, parce que c’est inscrit dans notre cerveau de façon ancienne.
Tiko : Mais les explications dépassent aussi ce qui nous est hérité de la Préhistoire ?
P.A. : En effet, il y a aussi tout le formatage personnel que l’on peut avoir. Là, on est davantage dans les biais cognitifs.
Par exemple, on le comprend à travers les traditions familiales. Si, dans une famille depuis des générations, on dit telle chose, cela devient inscrit en soi. Et donc, quand on doit changer de comportement, nos références sont celles qu’on nous a inculquées depuis longtemps et on aura du mal à évoluer.
« L’idée de la fresque du facteur humain, c’est de comprendre qu’il y a des choses qui se passent indépendamment de notre volonté. »
Tiko : Et donc toutes ces entraves au changement sont résumées dans l’expression “biais cognitifs” ?
D.V. : Pas uniquement. Parce que même les meilleurs spécialistes qui sur les biais cognitifs … ont présentent des biais cognitifs ! De plus, au-delà de ces biais, il y a les facteurs culturels, les facteurs familiaux, etc. Tout cela, dans un jeu d’interactions, est décliné à travers la Fresque du Facteur Humain.
Tiko : Cette Fresque propose-t-elle des pistes pour “faire mieux” ? Autrement dit, peut-on dépasser le Facteur Humain ?
P.A. : Il faut déjà en prendre conscience, l’accepter. J’ai ainsi des expériences de gens qui se mettent autour de la table pour s’engager sur des actions de transition. Mais, parce qu’ils arrivent avec leur formatage éducatif, mais aussi avec leurs blessures psychologiques propres, ils vont avoir une certaine attitude qu’on ne va pas forcément comprendre. Et cela peut poser problème pour le projet, voire entraîner un échec.
Et ça, on le voit régulièrement dans les projets de transition ! Même avec des gens qui ont vraiment la volonté de s’engager.
Certes, il y a des méthodes et outils après pour ça. L’idéal serait qu’ils soient capables de se dire “là je suis en train de réagir ou d’agir selon un conditionnement, selon des choses qui se passent en moi.”
Tiko : Donc pas de solution toute faite…
D.V. : non, comme souvent ! Mais il y a d’abord la prise de conscience, une observation avec du recul, puis un choix de dire : “je vais maintenir mon habitude parce que ça me rend plus confortable, etc.” ou, au contraire, “je vais changer mon habitude” voire “je vais utiliser cette notion d’habitude justement pour m’amener à changer.”
La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)
« Demain, tous en voiture électrique ?«
Notre prochaine table ronde réunira trois intervenant.es puydômois.es autour de l’électrification des automobiles : ce qui est fait, ce qu’il reste à faire, ce qui est possible, souhaitable, inenvisageable… et comment voir le sujet autrement
46ème Rencontre Tikographie, jeudi 13 février 17-19h (changement de lieu : au KAP) – tous publics, accès libre
Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.
Tiko : Est-ce que vous pouvez nous raconter votre vécu d’une Fresque et de son retour ?
D.V. : Tout de suite, je pense à une Fresque avec un groupe de consultants qui a depuis plus de dix ans un site internet commun et qui s’engage chaque année à faire un article pour ce site.
Une vingtaine de consultants, un article par mois, c’est très facile à tenir parce que ça ne fait que douze articles par an. Pourtant, ça fait dix ans qu’ils n’y arrivent pas.
« L’idéal serait [d’être] capable de se dire “là je suis en train de réagir ou d’agir selon un conditionnement.“ »
Ce que j’ai fait avec eux, c’est une fresque du facteur humain sur la thématique : “être capable d’écrire un article”. Cela montre que la problématique de la Fresque peut être très précise !
Et donc, depuis cette Fresque il y a un an, un planning a été établi. Et ils se tiennent, chacun à leur tour, à rédiger un article. Les anciens blocages, on les a étudiés – ils étaient tous différents. La Fresque a permis de les comprendre. Et puis après, on repart avec : ce sont des choix personnels qui amènent à les débloquer … ou pas.
Tiko : La Fresque est-elle donc uniquement théorique ?
D.V. : Disons que la Fresque, au départ, n’est pas faite pour construire un plan d’action. Elle est juste faite pour prendre conscience.
P.A. : Durant la Fresque, on va identifier les leviers, on va comprendre effectivement le rôle que jouent les facteurs humains, les émotions, les biais cognitifs, les représentations aussi – qui renvoient à l’appartenance sociale, aux croyances, à la mémoire ou encore aux habitudes. Ensuite, on va identifier collectivement des leviers pour développer notre capacité à agir.
Tiko : Beaucoup d’études portent sur le fait que l’humain est rationalisant plus que rationnel [il se pense rationnel alors qu’il ne l’est pas, NDLR]…
D.V. : Je pense qu’il faut éviter d’utiliser ces mots-là parce que, quelquefois, le fait de partir de ses émotions, c’est encore plus “rationnel” que partir de la raison. Par exemple, il faut savoir suivre ses intuitions quand elles sont bonnes. Ça paraît irrationnel, mais il ne faut pas s’en méfier a priori. Au fond, notre cerveau fonctionne sur un rapport conscient/inconscient.
Tiko : Pourquoi travaillez-vous spécifiquement sur ce type de Fresque ?
P.A. : Parce que je travaille sur les territoires depuis très longtemps. Et, à chaque fois, j’ai vu des facteurs de blocage. Je me demandais : “Pourquoi n’est-ce pas possible d’aller plus loin ?” De la part de tout type d’acteurs, parce que justement, l’intérêt sur un territoire, c’est que tous les acteurs sont là, dans leur diversité.
« Quelquefois, le fait de partir de ses émotions, c’est encore plus “rationnel” que partir de la raison. »
Selon les groupes, la mayonnaise prenait… Et c’est la même chose au sein d’une entreprise ou d’une organisation institutionnelle : à partir du moment où il y a un collectif, qu’est-ce qui se passe ? Résultat : ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas, ou plus ou moins… et quand ça fonctionne plus ou moins ou pas du tout, pourquoi ?
Or, ces dernières années, je m’impliquais de plus en plus dans des projets où les gens se mettent autour de la table pour transformer les choses. Ils sont convaincus qu’on peut faire quelque chose ensemble, mais qu’en même temps, quand on commence à réfléchir et à agir, ça ne va plus.
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D.V. : C’est assez similaire de mon côté. Cela fait 20 ans que j’interviens essentiellement dans le milieu associatif, avec des gens qui sont convaincus qu’il faut faire telle ou telle chose. Et, pareil : on se rend compte que ça ne se met pas en place, qu’il y a toujours un délai et qu’après le délai, on oublie le projet.
C’est ça qui m’a amené à m’intéresser à cette fresque du facteur humain. Quand je l’ai découverte, je me suis dit oui, effectivement, c’est un bon outil.
En plus, je ne suis pas psychologue de formation, j’avais besoin de comprendre un peu et de faire une synthèse de ce que j’avais compris des neurosciences sur les biais, sur les émotions, etc. Cette fresque le fait très bien.
Tiko : la Fresque jouée ce 20 janvier était thématisée sur le changement des habitudes en mobilité. Comment avez-vous délimité ce sujet ?
D.V. : la clé, c’est qu’il y a une thématique qui est posée en amont, mais le sujet est défini par le groupe au début de la session.
P.A. Dans le cas de cette Fresque du 20 janvier, on aurait pu parler de moyens de transport spécifiques, ou de se dire “On souhaite adopter des moyens de transport plus responsables.”
Ça suppose d’utiliser des déplacements on va dire vers, entre guillemets, limiter l’utilisation de la voiture, privilégier le covoiturage, utiliser les aires d’entrée de ville et prendre ensuite le tramway, etc. Ça suppose également des infrastructures que les collectivités investissent et qu’il y ait une offre pour pouvoir le faire.
Mais même si on facilite au maximum l’utilisation de ces moyens par les habitants, ça ne fonctionnera pas forcément ! Parce qu’il y aura justement ce facteur humain qui fera que les gens seront réticents.
Et donc, on va poser la question de la mobilité en général. Au début de la Fresque et avec les participants, on précise davantage ce sur quoi on va travailler.
Pour en savoir plus sur la Fresque du Facteur Humain : visitez le site web de Human Matters qui en a créé le contenu, mais aussi contactez Damien Verillhe pour une animation sur l’Auvergne |
Rédaction par Damien Caillard – entretien réalisé vendredi 10 janvier 2025, reportage réalisé lundi 20 janvier 2025. Photos Damien Caillard. A la une, les participants et animateurs de la Fresque hébergée par Tikographie.
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