Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
On ne parle pas souvent de santé dans Tikographie, et pourtant le sujet est d’importance. Car en fin de compte, quand on s’inquiète pour la santé de la planète, quand on s’efforce de préserver (ou retrouver) un territoire vivable, c’est bien pour notre santé qu’on doit être le plus inquiets : en bout de chaîne, les conséquences de l’effondrement de la biodiversité, du changement climatique, de la mauvaise qualité de l’eau que nous buvons, de l’air que nous respirons ou de la nourriture que nous mangeons seront de plus en plus manifestes sur notre état de santé et notre longévité. Elles le sont déjà, même si le lien n’est pas toujours évident à faire. L’explosion des maladies chroniques devraient nous alerter, comme le confirment mes interlocuteurs.
Ce serait déjà une raison suffisante pour s’intéresser à la santé intégrative.
Il y en a une deuxième : dans le défi qu’elle propose au corps médical et à la population dans son ensemble, elle est bien représentative de la nécessaire « redirection » que les défis écologiques nous imposent à tous les étages de notre organisation sociale. En santé comme dans l’industrie, dans l’agriculture, dans l’énergie ou dans les stations de ski, il faudrait vraiment tout changer de nos habitudes et réinventer des modèles, pour éviter le « mur » environnemental ou être capable de passer par-dessus.
La bascule, ici, serait double : passer de la médecine curative à la santé préventive, et considérer les malades plutôt que les maladies.
On s’y met ?
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- La médecine intégrative est une approche consistant à considérer et accompagner la personne dans sa globalité et pas seulement à traiter des pathologies. Elle s’appuie notamment sur la collaboration entre les professions médicales et les professions d’accompagnement et de soin à la personne : sophrologie, massage, nutrition, art-thérapie, méditation, etc. Cette approche permet de mieux soigner les patients, notamment atteints de maladies chroniques, et de diminuer les risques de récidive.
- Mais au-delà de l’accompagnement des malades, la santé intégrative va plus loin, proposant d’appliquer les mêmes méthodes à toutes les personnes, de façon préventive, pour leur éviter de tomber malade. Car 90% des maladies chroniques ont pour origine nos modes de vie et notre environnement, soulignent l’oncologue clermontois Joël Fleury et Virginie Vandermersch, fondatrice d’une école de sophrologie en Auvergne. Ce qui signifie qu’on pourrait en éviter beaucoup.
- Les liens entre santé intégrative et problématiques environnementales apparaissent à différents niveaux. Non seulement parce que la pollution, la malbouffe, le changement climatique et autres dégradations de nos conditions de vie affectent notre santé, mais aussi parce que le patient est amené à devenir acteur de sa santé : il en vient à s’écouter, à s’intéresser à son hygiène de vie et à prendre conscience de ce qui a un impact sur sa santé. De fait, la thématique de la santé peut-être un levier pour mobiliser et engager à agir.
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Après avoir été pendant dix ans infirmière en réanimation au CHU de Clermont-Ferrand, Virginie Vandermersch a exercé la sophrologie en cabinet libéral à partir de 2006.
En 2014, elle fonde Sophrocap, la première école de sophrologie et de communication PNL (programmation neuro-linguistique) en Auvergne. En 2022, elle crée un congrès annuel dédié à la santé intégrative, dont la quatrième édition aura lieu en novembre 2025.
Joël Fleury est oncologue et hémato-oncologue au Pôle Santé République (PSR) à Clermont-Ferrand. Il est depuis 1997 président de l’association L’Oasis des Dômes, dont la mission est « d’offrir des soins de support en particulier de bien-être pour les patients en cours de traitement ambulatoire » du service d’oncologie du PSR.
Très engagé lui aussi pour la promotion de la santé intégrative, il est membre fondateur de la Société française d’oncologie intégrative (SFOI), vice-président de l’Association pour la qualité de vie au travail des professionnels de santé (Aquavies) et membre du réseau territorial de santé intégrative Health United.
Virginie Vandermersch et Joël Fleury, au travers de leurs structures Sophrocap et L’Oasis des Dômes, sont aussi membres fondateurs du collectif de promotion de la santé intégrative en Auvergne Auver’Int.
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- Comment définiriez-vous la santé intégrative ?
- Cela signifie que dans les soins complémentaires, on n’inclut pas n’importe quoi…
- Comment ce concept s’est-il inscrit dans votre parcours et votre expérience professionnelle ?
- Comment cela se concrétise-t-il ?
- Vous décrivez l’oncologie intégrative, en interne dans un service hospitalier. La notion de santé intégrative a-t-elle des applications plus larges ?
- Dans ces piliers de l’hygiène de vie, sait-on ce qui est le plus déterminant ?
- Mais quelle est la part des aspects environnementaux dans la santé humaine ?
- Cela fait écho au concept de « One Health » qui fait le lien entre la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes. Le mouvement de la santé intégrative est-il en lien avec ce concept ?
- La santé intégrative, dans l’idéal, est donc avant tout préventive ?
- Mais cela existe déjà ou pas ?
- Vous citez le yoga, la pleine conscience, la nourriture saine, le sport, etc. : des tas de gens ont ces pratiques sans avoir recours à une consultation. En quoi la santé intégrative est-elle différente de ces simples pratiques ?
- Comment imaginez-vous la mise en œuvre de cette approche ? Vous préconisez que toutes les personnes aillent voir leur médecin par exemple une fois par an, pour bénéficier de conseils qui leur éviteront de tomber malade ?
- Il faudrait donc convaincre non seulement les médecins, mais aussi les professionnels des soins complémentaires et enfin le grand public, ce qui semble un chantier énorme. Comment peut-on le mettre en œuvre ?
- Est-il réalisable ? Peut-on imaginer une « redirection » de la médecine d’aujourd’hui vers une proposition de parcours personnalisé et préventif ?
- Un dernier message pour conclure ?
Pour mieux comprendre le concept de santé intégrative, j’ai rencontré deux de ses meilleurs promoteurs en Auvergne, Virginie Vandermersch et le Dr Joël Fleury. Nous explorons ce mouvement relativement récent, dans ses applications en accompagnement des malades et en santé préventive, et dans ses relations avec les problématiques environnementales. Où il sera question de systémique, d’impact des dérèglements environnementaux, de remise en question de nos modes de vie et d’organisation sociale, de freins au changement… Quelques thématiques qui nous sont familières !
Comment définiriez-vous la santé intégrative ?
Joël Fleury : C’est très simple. Notre définition est celle du Cumic, le Collège universitaire de médecines intégratives et complémentaires, une institution officielle composée de scientifiques pour labelliser des approches complémentaires. La définition du Cumic dit que « la santé intégrative est l’association de la médecine conventionnelle avec les soins complémentaires validés scientifiquement, centrée sur la personne, avec une vision pluridisciplinaire. » Tout est dit : c’est une médecine centrée sur l’individu.
« C’est une façon de penser très systémique. »
On peut ajouter qu’elle se caractérise par les « sept P » : on parle de préventif, prédictif, personnalisé, participatif – dans le sens où le patient est impliqué, acteur de sa santé –, également pluridisciplinaire, pertinente et intégrant des pratiques complémentaires.
Virginie Vandermersch : Quand je définis la santé intégrative, j’aime dire que c’est le lien entre médecine conventionnelle et non conventionnelle. C’est une façon de penser très systémique tenant compte de tout l’environnement du patient, et pas seulement des pathologies.
Cela signifie que dans les soins complémentaires, on n’inclut pas n’importe quoi…
J.F. : « Validé scientifiquement », en médecine conventionnelle, cela signifie basé sur les preuves, c’est-à-dire des essais thérapeutiques selon des protocoles précis. Mais c’est difficile d’extrapoler cette approche en matière de soins complémentaires : on ne peut pas comparer art-thérapie versus placebo ! Mais la validation scientifique repose sur des publications paraissant dans des revues médicales sérieuses et il y en a énormément : près de 80 000 articles publiés entre 2003 et 2023 ! Parce qu’on s’est rendu compte des bénéfices en qualité de vie, mais aussi en quantité de vie. Exemple en oncologie : on estime que des patients accompagnés de manière globale, c’est 30% de risque de rechute en moins.
Comment ce concept s’est-il inscrit dans votre parcours et votre expérience professionnelle ?
V.V. : La santé intégrative, pour moi, est là depuis longtemps. Ayant été infirmière de réanimation pendant 10 ans, je la pratiquais de façon intuitive, dans un service où on pensait déjà beaucoup de cette façon. J’ai appris à accompagner les patients dans une prise en charge globale, holistique. Typiquement, il est beaucoup plus compliqué de réveiller un patient angoissé : c’était flagrant.
Ensuite, je suis devenue sophrologue et je me suis rendu compte qu’il y avait de vrais résultats, d’ailleurs prouvés en termes scientifiques, sur l’efficacité de la sophro lors d’un soin invasif où le risque d’échec est important. En tant que sophrologue libérale, c’était hyper important de fonctionner avec les médecins. J’avais créé un réseau avec les généralistes : on travaillait ensemble sur l’accompagnement des patients.
« Il est beaucoup plus compliqué de réveiller un patient angoissé. »
Pendant le covid, j’ai repris un poste d’infirmière en réa à Paris. Et autant à 20 ans, sans expérience, j’avais juste fait émerger des choses avant-gardistes, autant dans ce retour, j’ai pu vraiment faire l’expérience d’assumer mon rôle de sophrologue dans la réanimation. Les résultats étaient très visibles sur l’angoisse des patients intubés. Cette notion a donc été présente tout au long de mon parcours.
J.F. : Quand je me suis installé, et même dès la fin de mon internat, je me suis rendu compte que ce qui me passionnait le plus était la relation médecin-patient. Surtout en oncologie où la relation de confiance est très importante. Deux choses m’ont préoccupé très vite : le bien-être des patients et celui des soignants. Parce que la qualité de vie au travail conditionne la qualité des soins.
« Ce qui me passionnait le plus était la relation médecin-patient. »
Aujourd’hui je suis président de l’association l’Oasis des Dômes, où on pratique l’oncologie intégrative dans le service d’oncologie du Pôle Santé République.
Comment cela se concrétise-t-il ?
J.F. : On a une coordination entre les soignants – médecins, infirmières, aides-soignants – et les professionnels de soins complémentaires.
Ces derniers interviennent pendant le temps de traitement en hôpital de jour, lors des chimiothérapies. Le concept des soins de support est pratiqué dans tous les établissements, mais notre particularité est que l’équipe – trois socio-esthéticiennes, une art-thérapeute, une masseuse bien-être, une réflexologue et une sophrologue – interviennent dans les chambres pour proposer le soin aux patients sur le temps de leur chimiothérapie. C’est intéressant parce que beaucoup de patients n’auraient jamais fait la démarche de revenir dans la clinique un autre jour pour cela ou pensent que ce n’est pas pour eux.
« On a tous les jours des témoignages de patients extraordinaires. »
On leur fait découvrir l’art-thérapie, les massages… Pour certains et certaines, c’est une révélation. L’objectif, outre leur apporter du bien-être, c’est de leur faire oublier un peu le traitement, de les initier à ces activités et surtout de les amener à les poursuivre après la fin des traitements. Ça change leur vécu de la maladie et du traitement. Et pour l’après, c’est une meilleure qualité de vie.
On a tous les jours des témoignages de patients extraordinaires. J’aime bien citer cette patiente qui fait de l’art-thérapie à chaque fois qu’elle vient en traitement. Un jour, je lui demande si le traitement se passe bien et elle me répond : « Mais docteur, je ne viens pas en chimio, je viens peindre ! » Avec en plus des étoiles dans les yeux… C’est génial parce que ces dames viennent avec beaucoup moins d’appréhension. Et ça c’est top !
L’exemple des Aventurières de l’Oasis est également formidable : chaque année des patientes (car les hommes sont plus réticents !) font du théâtre, de la danse, du chant, et montent un spectacle, qu’elles travaillent pendant six mois avec un metteur en scène et notre art-thérapeute. On en est à la troisième saison. C’est joyeux, hors norme ; c’est une incroyable leçon de vie et de résilience !
« Il y a aussi l’impact sur les soignants. »
Enfin, il y a aussi l’impact sur les soignants. Parce que cela demande de la coordination, du respect du travail de l’autre. Ça améliore leur qualité de vie et de travail, car les professionnels qui interviennent pour apaiser le patient permettent de faire les soins dans de meilleures conditions.
Vous décrivez l’oncologie intégrative, en interne dans un service hospitalier. La notion de santé intégrative a-t-elle des applications plus larges ?
J.F. : La médecine intégrative s’adresse aux patients malades, mais on parle aussi de santé intégrative, qui s’adresse à tout le monde et qui est basée sur l’hygiène de vie. Ici à Clermont, nous parlons des « quatre piliers » : l’alimentation, l’activité physique, la gestion du stress et du sommeil et la vie sociale. Dans cette dernière catégorie, on inclut toutes les addictions, les expositions aux polluants toxiques ou aux perturbateurs endocriniens, et toutes les dimensions du mode de vie sociale et sociétale.
Cela veut dire que si on veut rester en bonne santé ou éviter de retomber malade après avoir été soigné, il faut essayer d’adopter une hygiène de vie. C’est une façon d’être acteur de sa santé : avoir une alimentation saine et équilibrée, une activité physique régulière, savoir gérer son stress, avoir une vie sociale harmonieuse. Mais ce n’est pas nécessairement facile !
V.V. : Par exemple, pour l’alimentation, c’est compliqué. Avoir son potager, c’est bien mais on ne peut pas tout produire. Même en mangeant bien, ça ne fait pas tout… Mais on peut essayer de s’approcher de l’idéal.
« Si on prend soin de soi, c’est 30% de risque en moins de contracter une maladie chronique. »
J.F. : Il faut souligner que l’hygiène de vie réduit les risques mais ne les ramène pas à zéro. Je vois en oncologie des patients qui ont une très bonne hygiène de vie et se demandent « pourquoi il me tombe ça sur la tronche ? »
Tout de même on estime que si on prend soin de soi, c’est 30% de risque en moins de contracter une maladie chronique : obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, insuffisances respiratoires, maladies neurodégénératives, maladies auto-immunes, allergies.
Dans ces piliers de l’hygiène de vie, sait-on ce qui est le plus déterminant ?
J.F. : Tout est important. Mais on peut mesurer relativement bien ce qui est nécessaire pour réduire les risques.
Par exemple, il est démontré scientifiquement qu’il faut avoir une activité physique régulière pour réduire de 30% les risques de contracter des maladies ou de rechuter d’un cancer. Le « minimum syndical », c’est 30 minutes de marche par jour. Et c’est la régularité qui compte, plus que l’intensité.
V.V. : En fait c’est être dans le mouvement qui est important ; activité physique ne veut pas forcément dire sport. Cela peut même être culpabilisant pour certaines personnes qui n’arrivent pas à s’y mettre. Il faut juste leur dire : ce serait bien de se mettre en mouvement car ça peut permettre de diminuer vos risques.
Quel rôle jouent les aspects environnementaux dans la santé humaine ?
J.F. : On sait que 90% des maladies chroniques sont d’origine environnementale et 10% seulement d’origine génétique. Environnemental étant pris au sens du mode de vie, mais cela inclut les questions de malbouffe, de pollution de l’air ou de l’eau, etc., et donc de dégradation de l’environnement. La conscience que l’environnement est délétère pour la santé est justement un rationnel pour sensibiliser les gens aux problèmes environnementaux. La santé intégrative met en avant ce lien entre santé et mode de vie.
« En travaillant son intériorité, on en vient à être davantage conscient de ce qui se passe à l’extérieur. »
V.V. : Dans cette approche, nous amenons les personnes à une vraie connaissance d’eux-mêmes, qui les conduit à une conscience environnementale, car on se rend compte de l’aspect systémique des problèmes. En travaillant son intériorité, on en vient à être davantage conscient de ce qui se passe à l’extérieur : on écoute son corps ; on commence à se demander ce qui est bon, ce qui est juste.
Cela fait écho au concept de « One Health » qui fait le lien entre la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes. Le mouvement de la santé intégrative est-il en lien avec ce concept ?
J.F. : Bien sûr ! Je suis d’ailleurs membre de Health United, une association de santé intégrative qui s’inscrit dans ce concept, justement parce qu’on ne peut pas parler de santé intégrative sans faire le lien avec l’environnement.
« On ne peut pas faire de la santé humaine en occultant le reste, car tout est intriqué. »
On en parle notamment dans des congrès, qui sont des endroits de transdisciplinarité permettant de croiser des domaines différents. J’ai par exemple assisté à des sessions one health dans un congrès de jeunes anesthésistes où il était question d’hôpitaux durables, de santé animale, etc. C’était trop bien ! Cela permet d’être plus cohérent – par exemple en prenant conscience du gâchis dans les hôpitaux – mais même davantage : c’est prendre conscience des interdépendances. On ne peut pas faire de la santé humaine en occultant le reste, car tout est intriqué. Le covid a été un bel exemple du lien entre santé humaine, santé animale et santé environnementale.
Nous avons évoqué (entre autres) le mouvement One Health avec Nicolas Duracka, dans le portrait à lire ici : « Nicolas Duracka, chercheur résilient ». |
La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)
« Demain, tous en voiture électrique ?«
Notre prochaine table ronde réunira trois intervenant.es puydômois.es autour de l’électrification des automobiles : ce qui est fait, ce qu’il reste à faire, ce qui est possible, souhaitable, inenvisageable… et comment voir le sujet autrement
46ème Rencontre Tikographie, jeudi 13 février 17-19h (changement de lieu : au KAP) – tous publics, accès libre
Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.
La santé intégrative, dans l’idéal, est donc avant tout préventive ?
J.F. : C’est l’avenir de la médecine. Bien sûr Il faut soigner les gens malades. Mais il va surtout falloir prendre en charge les gens en bonne santé, pour qu’ils restent en bonne santé. Cela représenterait des milliards et des milliards d’économies. Le jour où les gouvernants comprendront ça, on aura fait un grand pas en avant !
Mais cela existe déjà ou pas ?
J.F. : Cela fait 25 ans que les Américains la pratiquent. On pourrait avoir des doutes quand on voit que la moitié de leur population est obèse. Mais il y a deux Amériques… Et donc les Américains et les Canadiens sont quand même en avance.
Cela reste récent, mais en avance sur l’Europe et encore plus sur la France où les choses commencent à peine à bouger. Le pionnier a été un oncologue d’Aix-en-Provence, le Dr Mouysset, qui a créé un premier centre ressource intégratif en 2005, mais son travail est resté assez discret. Ça s’est donc développé bien plus tard, avec notamment le Dr Toledano qui a créé l’Institut Rafaël en 2018 et qui est beaucoup plus médiatique.
Vous citez le yoga, la pleine conscience, la nourriture saine, le sport, etc. : des tas de gens ont ces pratiques sans avoir recours à une consultation. En quoi la santé intégrative est-elle différente de ces simples pratiques ?
J.F. : L’idée est d’intégrer la médecine à cette vision préventive. Mais la difficulté est de sensibiliser les médecins. Cela devrait commencer dès leurs études. Il faut apprendre à travailler avec les autres : ostéopathes, sophrologues, réflexologue, etc. Ensemble on a plus de chances d’avoir des résultats bénéfiques. Cela demande de la part d’un médecin beaucoup d’humilité… et ce n’est souvent pas le point fort de cette profession.
V.V. : Il faut effectivement commencer par la connaissance de soi, la posture de soignant, et être centré sur les valeurs humaines. Car on peut vite être piégé par un ego débordant. La santé intégrative, ce ne sont pas seulement des méthodes, mais ce que nous faisons de telle ou telle méthode. C’est une posture d’accompagnant et d’aidant.
Comment imaginez-vous la mise en œuvre de cette approche ? Vous préconisez que toutes les personnes aillent voir leur médecin par exemple une fois par an, pour bénéficier de conseils qui leur éviteront de tomber malade ?
V.V. : C’est l’idée que tous ces aspects soient pris en compte par des professionnels différents pour un même patient, de façon personnalisée. Dans chaque « pilier », il y a des professionnels qui sont là pour vous aider. Mais chaque personne n’a pas besoin de les voir tous. Il y a des gens qui ont déjà une alimentation relativement saine et n’ont pas besoin d’aller voir un nutritionniste. Des gens qui sont sportifs naturellement…
Il faudrait donc convaincre non seulement les médecins, mais aussi les professionnels des soins complémentaires et enfin le grand public, ce qui semble un chantier énorme. Comment peut-on le mettre en œuvre ?
V.V. : Il faut énormément communiquer, par des événements, des congrès comme celui que nous organisons chaque année. En Auvergne, nous avons créé un collectif, Auver’Int, pour promouvoir cette approche et créer une dynamique. Il faut changer la culture médicale et prendre l’habitude de travailler ensemble. Par exemple, quand j’exerçais la sophrologie en libéral, je faisais systématiquement un compte rendu de mes interventions au généraliste du patient. Mais à part les diététiciens, très peu le font. Entre médecins et professions d’accompagnement du soin, il y a un rejet réciproque, qu’il faut apprendre à dépasser.
« Il faut changer la culture médicale et prendre l’habitude de travailler ensemble. »
J.F. : Le plus difficile sera de convaincre les médecins, mais ceux des jeunes générations semblent plus ouverts. Et une majorité de médecins pourraient s’ouvrir aussi s’ils étaient mieux informés. Mais c’est effectivement un vrai chantier.
Est-il réalisable ? Peut-on imaginer une « redirection » de la médecine d’aujourd’hui vers une proposition de parcours personnalisé et préventif ?
J.F. : Aujourd’hui la santé, c’est 11% du PIB en France et le préventif ne représente que 3% du budget de la Sécurité sociale. De plus aujourd’hui on a de moins en moins de médecins et de plus en plus de malades, alors ce sera difficile de demander aux médecins de prendre également en charge les gens bien portants ! Sans compter qu’en France, on est toujours très méfiants à l’égard de ce qui est nouveau… Cependant une fois qu’il est démontré que ça marche, le déclic peut être rapide.
« Le préventif ne représente que 3% du budget de la Sécurité sociale. »
V.V. : Il faut commencer par appliquer la médecine intégrative, dans des lieux de soin, comme avec l’Oasis des Dômes. Les établissements thermaux, particulièrement en Auvergne, sont aussi des lieux qui travaillent beaucoup dans ce sens, car ils accueillent des patients en curatif, mais se réinventent aussi en préventif, en développant les séjours bien-être. C’est à partir de ces endroits qu’on pourra diffuser une nouvelle culture du soin.
Un dernier message pour conclure ?
J.F. : Peut-être souligner qu’être acteur de sa santé ne veut pas dire qu’on se prive et qu’on fait des sacrifices. Bien au contraire, puisqu’il s’agit de rester en bonne santé !
Auver’Int, le collectif des professionnels impliqués dans la promotion et le développement de la santé intégrative en Auvergne, a été fondé par Le Pôle Santé République, le CHU de Clermont-Ferrand, le centre Jean-Perrin, le récent Pôle Santé Magellan et Sophrocap. En attendant le site internet, on peut le joindre via l’adresse courriel : auverint [@] gmail.com |
Pour en savoir plus sur les structures portées par mes interlocuteurs, consulter leurs sites internet : > Sophrocap, école de sophrologie fondée par Virginie Vandermersch > L’Oasis des Dômes, association portant les soins de support en oncologie du Pôle Santé République |
Deux dates à retenir : > 24 avril à 20h30 à l’opéra-théâtre : le spectacle des Aventurières de l’Oasis (billetterie à l’office de tourisme ou sur place) > 14, 15 et 16 novembre à Vulcania : 4e édition du Congrès de santé intégrative. |
Entretien Marie-Pierre Demarty, réalisé le vendredi 31 janvier 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf mention contraire. A la une : Virginie Vandermersch et Joël Fleury, lors de notre rencontre.
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