Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Que dire ? Zéro déchet, circulation à vélo, serviettes en tissu, vaisselle de seconde main, organisation associative, respect des travailleurs… Raboule est un modèle de cohérence, sorte de préfiguration de la ville vivable de demain.
Il ne lui manque que…
Quoi donc ?
Que les habitants s’emparent vraiment de ces façons de faire et de vivre, en fassent leur quotidien, prennent une bonne fois pour toutes le réflexe de refuser les emballages à usage unique, la livraison à domicile de tout et n’importe quoi, la voiture-pour-aller-chercher-le-pain-à-200-mètres.
Je vous assure, une fois qu’on s’y est mis, ce n’est pas si difficile…
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- L’association Raboule propose différents services éco-responsables en centre-ville de Clermont et, pour certains, sur le territoire de la Métropole : système de consigne d’emballages non jetables pour la restauration à emporter, vaisselle réutilisable dans les événements et festivals, traiteur zéro déchet livré à vélo, livraison à domicile ou en entreprises. Elle fait travailler les deux co-porteurs de l’activité, ainsi que deux étudiantes salariées en CDI pour les livraisons.
- Alors que la livraison et les buffets éco-responsables fonctionnent bien, les emballages réutilisables ont du mal à se faire une place, malgré un système simple avec une appli qui évite les échanges monétaires et une prise en charge du lavage. Cela s’explique par des freins tels que le temps de prise en main dans un secteur où le turn-over est important, le coût du service, ou le nombre trop restreint de commerces participants, ce qui limite la fluidité de circulation des contenants.
- Le statut associatif permet un développement recherchant davantage l’équilibre, la promotion des gestes citoyens, le respect de l’équipe et de l’environnement que la rentabilité. C’est pourquoi les co-porteurs cherchent aujourd’hui à structurer le collectif, en essayant de mobiliser des bénévoles et de dialoguer avec un conseil d’administration plus impliqué, aidant à prendre les bonnes décisions. Par exemple pour développer le marché de la livraison au dernier kilomètre.
« On nous voit toujours comme le petit truc en plus, mais il faudrait que ça devienne incontournable », commence Mika, avant même que j’aie commencé à les interroger, lui et Agathe. Nous venons de prendre place dans le petit local de Raboule, en plein cœur du quartier piétonnier de l’hyper centre-ville de Clermont, là où vous feriez à peine circuler une camionnette. Mais le cargo de Mika stationne sans problème devant la porte. Le vélo-cargo pour être précis.
Et les quelques mètres carrés du local suffisent pour contenir un bureau, un petit salon et des stocks de vaisselle en verre ou en faïence, éco-cups en plastique et matériels divers. Cette plateforme logistique est minuscule : l’activité ne va rivaliser ni avec Amazon ou DHL, ni même avec Deliveroo ou Uber Eats. Mais elle a sa place en ville car elle relève d’une tout autre philosophie : celle de sensibiliser les habitants et les convier à changer leurs habitudes dans une optique citoyenne et, justement, de proposer une alternative à ces grandes et peu humaines plateformes logistiques.
Histoire courte… mais dense
Mika Bonnet et Agathe Vassal sont les héritiers de deux associations qui fonctionnaient en complémentarité dès leurs débuts, avec des fondateurs communs ou proches, et qui ont fini par fusionner. L’une, Raboule, voulait développer, par un système de consigne, la circulation de contenants durables pour les repas à emporter ou à livrer ; l’autre, Cyclôme, livrait à vélo, notamment, les repas en question.
Puis les fondateurs sont partis voguer (ou pédaler ?) vers d’autres projets. Et Mika, livreur Cyclôme puis Raboule, s’est retrouvé à gérer et porter seul à peu près tout. Un peu trop seul, d’où l’idée de se trouver une coéquipière, Agathe. « Bonne pioche ! », se réjouit-il.

Cet historique accéléré pourrait laisser croire à un long passé. Mais en réalité, les deux associations ont été créées en 2021, ont fusionné en janvier 2023. Laura Bossé, gérante du restaurant-tiers-lieu La Goguette qui gérait l’opérationnel de Raboule, s’en est retirée en janvier 2024. Et le tandem Mika-Agathe s’est formé quelques mois plus tard. Depuis, les deux co-porteurs du projet sont entourés de deux cyclistes-livreuses, de pas mal de partenaires, d’un conseil d’administration où siègent des proches : les fondateurs, un ancien salarié, des prestataires-partenaires.
Agathe et Mika se répartissent la gestion des deux activités : Agathe pour tout ce qui concerne les emballages et le zéro déchet, Mika pour la partie logistique-livraison, y compris pour mettre le pied au pédalier quotidiennement. Pour mieux comprendre l’esprit de l’association et même son statut associatif, il faut décortiquer un peu ces différentes « branches » d’activité.
La Goguette a fermé en septembre dernier, mais pour découvrir ce beau projet animé par une fondatrice de Raboule, lire aussi l’entretien : « A la Goguette, Jonathan Biancolin et Laura Bossé misent sur l’éco-responsabilité conviviale » |
Le concept d’origine
Côté zéro déchet, Agathe répartit les services en trois « sous-parties » : la mise à disposition de contenants réutilisables et consignés pour les repas à emporter ; un système de consigne sur la vaisselle de restauration dans les événements et festivals ; et enfin un service traiteur zéro déchet pour des buffets en entreprises.
La première des trois est à la fois le concept initial de Raboule, la plus grosse déception et, assurent Agathe et Mika, « toujours l’objectif numéro 1 ».
L’idée est de constituer un stock de vaisselle à mettre à disposition des restaurateurs pour la vente à emporter : lunch-box, bols et verrines en verre, boîtes à pizza en plastique. Les clients peuvent ensuite les restituer, bénéficiant d’un système de consigne sans numéraire, via un cagnottage sur une application mobile ou une carte pré-payée. Raboule se charge de faire laver les contenants et de les rendre aux restaurateurs partenaires.
« Pour le restaurateur, cela évite l’investissement important que représente la vaisselle non jetable. »
« L’appli est développée avec un collectif national de structures qui fonctionnent avec le même système, à Nantes, en Normandie et en région parisienne. Nous travaillons ensemble à son amélioration en continu », précise Agathe. Ce système sans paiement est censé être ultra-simple, d’autant plus que Raboule a uniformisé le tarif des contenants, la plupart à 3 euros de consigne. « Pour le restaurateur, cela évite l’investissement important que représente la vaisselle non jetable. La pizzeria Oncle Héraclite fonctionne avec 50 à 60 boîtes à pizza, et le glacier Les Petits Glaçons utilise encore plus de volume », explique Mika.
Comment ça freine
Alors pourquoi ne reste-t-il que ces deux commerçants à utiliser ce service constituant un avantage écologique indéniable par rapport aux montagnes de cartons, boîtes en polystyrène et plastiques divers à usage unique produites et presque aussitôt jetées à longueur de journée ?
Agathe énumère les freins qui se sont empilés : « Au départ il y avait sept commerçants. Mais pour certains, les contenants ne convenaient pas tout-à-fait. Il y a aussi le turn-over du personnel : l’appli est très simple d’utilisation après la prise en main, mais au départ, il faut se l’approprier et ça fait perdre du temps dans les moments de rush. Ensuite, le coût entre en compte, car pour le restaurateur, le service revient un peu plus cher que le jetable et l’aspect environnemental ne suffit pas : c’est un vrai problème s’il n’y a pas d’avantage économique. » Mika ajoute que la loi Agec, censée être incitative sur le gaspillage, n’est quasiment pas appliquée dans la vente à emporter.
« On devrait être une simple solution de repli. »
L’association fait son possible pour répondre à ces inconvénients : par exemple en élargissant le choix des contenants, ou en proposant un abonnement mensuel sans le service de lavage qui « revient à une sorte de location longue durée. »
Mais il manque à Clermont un élément qui a permis à Nantes de développer largement le service, avec aujourd’hui quelque 70 commerçants participants : « Il faut une masse critique pour rendre le réseau fluide, avec des consommateurs qui peuvent commander chez l’un et rapporter chez un autre, avoir un vrai choix de l’offre, et même faire remplir à nouveau directement une boîte qu’ils ont eu avec un repas précédent. Ce serait un vrai argument pour inciter de nouveaux restaurateurs à participer : figurer dans la liste de ces offres leur apporterait une visibilité auprès de nouveaux clients », explique Mika.
Assiettes dépareillées
Le but étant à terme, pour Raboule, d’inciter les clients à avoir le réflexe de venir chercher leur repas en ayant leurs propres contenants, de promouvoir une généralisation du zéro déchet. Et de rendre le système de consigne quasiment inutile, non pas faute de commerçants volontaires, mais faute de consommateurs se présentant sans lunch box. « On devrait être une simple solution de repli », rêve Mika.
« On fonctionne sans consigne, avec un peu de pédagogie et en faisant confiance aux gens. »
La promotion des bons réflexes, c’est surtout dans le deuxième volet de l’activité zéro déchet que Raboule a l’occasion de la mettre en œuvre : lors de festivals et événements – de taille raisonnable et d’ambiance plutôt familiale, tels que les Nuées Ardentes ou la Nuit de l’image – l’idée est de mettre des contenants durables à la disposition des food trucks ou stands de repas et boissons. Raboule tient son propre stand sur place pour récupérer les contenants.
« On fonctionne sans consigne, avec un peu de pédagogie et en faisant confiance aux gens. Ça marche parce que ce sont de vieilles assiettes dépareillées de seconde main, qui sont encombrantes à garder en main, et que c’est facile de les déposer. C’est plus compliqué pour les éco-cups en plastique, que les visiteurs considèrent comme du jetable ; mais on les garde parce qu’il faudrait des stocks trop importants de verre pour les remplacer, et c’est de plus en plus difficile d’apporter du verre sur des événements », disent les deux animateurs de l’association.

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Buffet roulant
La troisième sous-partie « sans déchet » nous amène doucement à l’activité livraison, car elle s’apparente aux deux facettes de Raboule : il s’agit de livrer à vélo-cargo des buffets et collations zéro déchet. Une prestation assez classique pour des entreprises et collectivités souhaitant commander de quoi restaurer les participants à une réunion, une réception ou tout autre événement ponctuel. Raboule travaille pour cela avec un choix de restaurants ou traiteurs partenaires ayant une démarche compatible avec celle de l’association (du bio, du local, du végétal…), sollicités en fonction de la demande du client. Puis Mika entre en selle : « Je prépare les nappes, la vaisselle, les boissons ; je vais chercher les aliments à vélo ; puis je livre et j’installe le buffet. Ensuite, je reviens débarrasser. »
« Les entreprises sont parfois sceptiques à la première commande, mais ensuite elles nous resollicitent. »
Buffet classique… ou presque. Car ici, rien n’est jetable. « Nous avons même fait faire des serviettes en tissu par Flax », souligne le livreur, qui récupère en fin de repas non seulement la vaisselle, mais aussi les déchets, déposés au passage dans les bacs à compost de Terra Preta, place des Salins. « Les entreprises sont parfois sceptiques à la première commande, mais ensuite elles nous resollicitent facilement. Elles sont toujours très étonnées de voir arriver le matériel pour un buffet complet sur un vélo, puis de voir que j’installe tout ça en à peine dix minutes. »
Ajoutez le bouche-à-oreille, la volonté de bien faire et même la possibilité de valoriser cette démarche dans la politique de responsabilité sociale et environnementale… Et voilà un service qui roule plutôt bien.
Pour découvrir le bel endroit qui (entre autres) fabrique des serviettes en tissu, lire aussi le reportage : « Flax aiguille les gens vers la capacité à coudre, s’habiller, créer… et s’intégrer » |
Livraisons en CDI
Comme roulent bien aussi les propositions de livraison, surtout en période de grands travaux où la circulation sur plus que deux roues se fait chaotique. Mika indique qu’elles représentent les deux-tiers de l’activité, tant en chiffre d’affaires qu’en volume horaire. Et dans ces propositions, la moitié sont classiquement des livraisons de repas.
« C’est un boulot classique de livreur à vélo, sauf qu’elles sont salariées. »
Pour le reste, quelques marchés très spécifiques, tels que la livraison de prothèses dentaires, le réapprovisionnement de frigos connectés en entreprise pour la société Fresh Food Lab qui les développe dans Clermont, ou encore quelques livraisons de courses pour des clients de la supérette bio L’Eau Vive.
Pour assurer ces demandes, Mika prend en charge l’essentiel des trajets dans la journée et est aidé surtout le soir par deux étudiantes. « C’est un boulot classique de livreur à vélo, sauf qu’elles sont salariées, certes sur des temps partiels, mais en CDI », précise leur collègue. Le réparateur de vélos attitré de Raboule prête aussi main forte si besoin. L’association dispose pour ces livraisons de trois vélos-cargos, dont un seul à assistance électrique – pour les trajets pentus.
Choix difficiles
En ce début 2025, l’association se trouve à la croisée des chemins, car Clermont Auvergne Métropole, qui subventionne l’association pour le développement de ces diverses activités contribuant à l’apaisement du centre-ville, verrait d’un bon œil la reprise par Raboule des services auparavant assurés par une autre structure « à vélo » ; les Colis Vert, qui ont cessé leur activité courant 2024, se chargeaient de ce qu’on nomme la « livraison du dernier kilomètre ». Pour des transporteurs de type DHL ou Schenker, il n’est en effet ni facile, ni rentable de livrer des petits colis chez les particuliers directement à bord de leurs gros camions, a fortiori dans les ruelles de centre-ville. « Ils ont trouvé des solutions de repli provisoires mais peu satisfaisantes. En plus avec les travaux, l’extension probable de la zone à faibles émissions… », explique Mika.

« Reprendre ces services est un gros enjeu pour nous : cela suppose de trouver un nouveau local, de recruter de la main-d’œuvre, d’investir, d’être sûr de le rentabiliser… alors qu’on sait que nous ne serons pas seuls longtemps sur ces marchés », poursuit-il. Un autre développement possible serait de développer la collecte des biodéchets auprès des restaurateurs, que Terra Preta a un temps proposée.
« La cyclo-logistique nous porte et nous permet d’expérimenter des choses sur le volet emballages. »
Des décisions pas faciles à prendre à deux, tout comme les choix de compromis à faire – ou pas – sur la vaisselle en plastique, et autres orientations engageant l’avenir de la structure. « Nous essayons de nous adapter, de déployer ce qui fonctionne le mieux pour garder notre énergie, tout en n’abandonnant pas nos motivations premières. La cyclo-logistique nous porte et nous permet d’expérimenter des choses sur le volet emballages », souligne Agathe.
Lire aussi le reportage : « Terra Preta parie sur l’avenir des biodéchets de la ville » |

Savoir s’entourer
Ces considérations ont motivé les deux porteurs du projet à s’entourer davantage et à donner une réelle consistance à la vie associative, en s’appuyant sur un accompagnement qui les aidera jusqu’en juin à réorganiser le collectif. « Nous sommes structurés en association préfigurant une scop, mais ce passage en coopérative, compliqué et très engageant, se fera sur du plus long terme. Nous voulons d’abord pérenniser notre modèle pour y aller sereinement. Dans l’immédiat, nous avons besoin d’aide pour prendre des décisions stratégiques, et de bénévoles, ponctuellement, pour tenir les stands et faire de la sensibilisation sur les événements », résume Mika. Agathe complète : « Aujourd’hui nous décidons de tout ; jusqu’à présent, on n’osait pas solliciter notre conseil d’administration et c’était lourd à porter. On essaie de remobiliser du monde. »
« On n’osait pas solliciter notre conseil d’administration et c’était lourd à porter. »
Qui peut avoir envie de s’impliquer ? D’abord les fournisseurs, les anciens des deux associations d’origine, les parties prenantes comme le loueur de vaisselle Loca-Vaisselle, qui prend en charge le lavage des assiettes, box et autres contenants non-jetables et qui avait initialement sollicité Raboule pour « rentabiliser » des contenants qu’eux-mêmes utilisaient peu.

Mais ces volontaires peuvent aussi se trouver dans les milieux du vélo, les associations amies, les citoyens engagés… Parce qu’ils n’ont, comme explique Mika, « pas envie que nos bénévoles soient seulement de la main-d’œuvre ponctuelle gratuite, mais aussi qu’on leur apporte quelque chose », Raboule commence aussi à organiser des événements festifs et engagés. Comme la deuxième balade à vélo organisée dimanche dernier. Le genre d’activité que bizarrement, Uber ou Deliveroo n’a pas prévu de développer…
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé lundi 24 février 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf mention contraire. A la une : Agathe et Mika, devant le local avec leurs outils de travail : boîte à pizza réutilisable et vélo-cargo..
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