Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Vous ne vous attendiez peut-être pas à trouver dans Tikographie le portrait d’une entreprise spécialisée dans la vente de moteurs diesel. C’est vrai qu’à première vue, ça pique un peu.
Seulement voilà, il y a ces questions d’ordre de grandeur et de cycle de vie des produits manufacturés, qui ne sont pas très intuitives et demandent des petits efforts de documentation, de prise de recul et de reconnaissance de la complexité des problématiques.
En termes d’émissions de carbone, il apparaît plus « payant » de prolonger la durée de vie d’un tracteur ou d’une pelleteuse assez polluants que de fabriquer de nouveaux engins. Car leur fabrication à elle seule est bien plus polluante que leur usage, même sur une durée relativement longue.
Bien sûr, on pourra penser qu’il serait préférable d’arrêter de construire des routes et des immeubles, ou de s’engager dans une agriculture beaucoup moins mécanisée. Mais si on veut être réaliste, on doit bien reconnaître que ça n’en prend pas le chemin. Alors autant essayer de tirer sur la pédale du frein en améliorant ces activités, tout en espérant les voir bifurquer.
J’ajouterais que j’ai vu naître cette entreprise, quand Anthony est venu très discrètement occuper un bureau – et prendre goût aux partages de l’open space ! – à Epicentre, le tiers-lieu clermontois qui a marqué durablement beaucoup de ses coworkers et usagers et s’est durant sept ans appliqué à diffuser des valeurs de partage, de collaboration et d’encouragement à penser hors des sentiers battus. J’ai vu aussi grandir Alberto Export, quand Anthony a accueilli ses premiers collaborateurs ou stagiaires, amenant déjà une réjouissante diversité, terrain de son combat plus récent pour l’égalité des chances.
Des valeurs et des façons de faire qui peuvent difficilement ne pas être authentiques et sincères. C’est pourquoi j’ai dressé l’oreille quand j’ai vu que l’entreprise, une fois gagné son pignon sur la rue, dans la zone des grands concessionnaires automobiles, promouvait aussi des valeurs environnementales. J’avais envie de comprendre la logique.
Je vous la livre telle qu’elle m’a été montrée. Libre à chacun de se confronter à la complexité de notre monde, à ses absurdités et à ses paradoxes, et de se faire sa propre idée.
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Alberto Motors est une entreprise clermontoise dont l’activité est de remplacer des moteurs diesel d’engins agricoles ou de BTP, en s’appuyant à l’échelle mondiale sur un réseau de fournisseurs très divers. Le but est de prolonger la durée de vie de ces machines dont la fabrication est finalement plus polluante que les moteurs dans le temps de leur usage.
- En cohérence avec ses valeurs humanistes, l’entreprise s’efforce au maximum d’introduire dans son activité les principes de l’économie circulaire, par la seconde main, la réparation, le reconditionnement, le recyclage, et reste attentive aux progrès techniques pour réduire la nocivité des moteurs. Elle est aussi un modèle de mixité et d’inclusion.
- Cette orientation atypique proviennent de la personnalité et du parcours hors normes du fondateur, Anthony Alberto. Originaire d’Angola, il a connu la guerre, l’exil, la pauvreté avant de trouver les encouragements et opportunités pour se construire un parcours brillant. Un expérience de vie sur laquelle il s’appuie pour pousser les jeunes à croire à leurs chances, quel que soit leur milieu d’origine.
Basée dans une impasse tout au fond de la zone de La Pardieu, à l’entrée sud de Clermont, l’entreprise Alberto Motors est longtemps restée discrète. Puis au cours de l’an dernier son fondateur, Anthony Alberto, s’est mis à communiquer beaucoup plus sur un point : les valeurs d’inclusion. Car il a fondé une association, Alberto Diversity, pour promouvoir les valeurs qu’il met en œuvre depuis les débuts de sa société et pour encourager les jeunes à croire en leurs chances, même les moins gâtés par le destin. Un volontarisme qui a valu à Alberto Motors d’être distinguée en décembre dernier par un Trophée des entreprises.
Pourtant Anthony reste un patron modeste (mais toujours élégant !), parlant d’une voix douce, agissant avec cœur et authenticité. Il puise ses valeurs dans son parcours hors normes, qu’il a raconté maintes fois, surtout devant les gamins des quartiers sensibles de Clermont.

Résumons donc : une enfance en Angola, la fuite du pays en guerre avec sa famille, à l’âge de 12 ans, d’abord vers le Portugal. Puis un atterrissage près d’Aigueperse par les hasards d’une connaissance, mais qui ne se passe pas bien. Il ne passe sous silence ni les années de pauvreté, ni la période où il a été SDF, ni même les souvenirs antérieurs de la guerre – « J’ai vu des choses vraiment pas jolies ; je m’en souviens plus que de ce que j’ai fait il y a trois jours ! », reconnaît-il.
« J’ai été choqué par les machines agricoles à l’arrêt faute de pièces. »
Pour raconter la suite, cherchez plutôt du côté de Cendrillon. Et retrouvez Anthony décrochant un MBA de commerce international à l’ESC. C’est alors qu’il retourne en Angola, en 2015, pour un travail qui consiste à aider des entreprises à l’export, dans le cadre d’Ubifrance, l’ancêtre de Business France. Il y observe la réalité de son pays d’origine : « J’ai été choqué par les machines agricoles à l’arrêt faute de pièces pour les réparer, par la pollution partout. Je n’avais pas d’expérience, je ne connaissais rien à ce domaine, mais j’ai voulu donner un sens à ma vie. J’ai alors monté ce projet, d’abord seul pendant un an. »
Démarrage en cowork
Le projet, c’était alors Alberto Export : depuis un petit bureau en coworking à Clermont, Anthony se démène pour trouver des pièces détachées, pas forcément neuves, et les revendre là où elles manquent. Le sens consistait à favoriser la réparation des tracteurs agricoles, et donc le développement de l’agriculture, dans des pays qui en avaient besoin.
« C’est là que nous avons connu une croissance hyper rapide. »
Assez vite, il s’adjoint Youcef Medjellakh, qui reste aujourd’hui son directeur général, puis Mihaela Andrei, une voisine de cowork spécialisée dans le marketing, elle aussi toujours présente. « Elle est ma directrice marketing, une personne-clef de ma boîte. Elle nous a initiés au digital et c’est là que nous avons connu une croissance hyper rapide », précise Anthony.
Entretemps, l’entreprise a bifurqué une première fois : passant des pièces détachées à une spécialité de remplacement des moteurs diesel, tant pour les tracteurs agricoles que pour les engins du BTP.
L’agilité du guépard
Autre bifurcation qui arrive assez vite : en pleine période de crise du lait, l’entreprise se tourne vers les besoins les plus proches. « L’export avait été un échec, car dans des zones comme l’Afrique, tout fonctionne sur le réseau des connaissances. Nous travaillons encore sur ces marchés, mais avec des apporteurs d’affaires sur place. Et nous nous sommes recentrés sur le marché français, qui représente 70% de notre activité. Nous exportons beaucoup aussi en Europe », poursuit Anthony.
« C’est l’animal le plus rapide du monde. Il est africain, petit mais très agile… »
Ces différents tournants le conduisent à rebaptiser l’entreprise Alberto Motors. Celle-ci grandit, embauche du monde, quitte l’espace de coworking pour un premier local à La Pardieu (proche de l’actuel), dont la façade arbore une belle tête de guépard, l’animal qu’Anthony s’est choisi comme emblème : « C’est l’animal le plus rapide du monde. Il est africain, petit mais très agile… je m’y reconnais ! », sourit-il. C’est aussi un premier signe d’attachement à la nature sauvage et, indirectement sans doute, au respect de l’environnement.
Cette valeur-là semble pourtant moins évidente que celle de l’inclusion, dans cette entreprise dédiée à la vente de moteurs diesel pour des gros engins généralement bien polluants. Mais les vertus, autant que le diable, se cachent dans les détails. Détaillons donc.

Prolonger la durée de vie
« Si une machine tombe en panne, l’agriculteur a d’abord le réflexe de l’amener à son garagiste. Si celui-ci ne peut pas avoir de pièces pour réparer, il lui conseille de changer le tracteur. On connaît la situation du monde agricole… L’agriculteur va alors rechercher une solution moins coûteuse sur internet. C’est là qu’il tombe sur nous », poursuit le fondateur.
« Nous nous devons d’être très réactifs, bien huilés, et l’équipe a le savoir-faire pour cela. »
Le métier d’Alberto Motors, c’est de rechercher à l’international, explique-t-il, « la meilleure offre de moteur compatible avec sa machine ». Entendez par là qu’il ne s’agit pas forcément du même moteur ou de la marque d’origine, mais la proposition garantira un prolongement du matériel, pour tout engin postérieur à 1970, ce qui est déjà une belle longévité. Et pour « a minima 5000 heures de plus, soit souvent plus de 5 ans », estime Youcef Medjellakh, appelé à la rescousse pour préciser quelques données chiffrées.
Même principe du côté du BTP qui rencontre les mêmes problématiques, fait observer Anthony, « avec de gros enjeux d’urgences par rapport aux pénalités de retard sur les chantiers ; ces enjeux sont à mettre en regard avec ceux d’un agriculteur qui doit terminer sa moisson dans un temps limité. Nous nous devons d’être très réactifs, bien huilés, et l’équipe a le savoir-faire pour cela. »
Un écosystème
Le savoir-faire, mais aussi le réseau. C’est là qu’Alberto Motors commence à devenir intéressant pour l’environnement : l’entreprise se fournit en moteurs neufs, mais aussi d’occasion ou reconditionnés. Et peut aller chercher ce matériel dans toute une gamme de fournisseurs, du constructeur jusqu’à la casse, en passant par les distributeurs, les négociants, les ateliers spécialisés de reconditionnement. Au besoin, l’entreprise auvergnate sollicite des constructeurs en marque blanche pour commercialiser des moteurs sous sa propre marque.
« C’est tout un écosystème que nous mobilisons, partout dans le monde. Nous ne sommes pas le fabricant, mais le facilitateur », précise le président de la marque au guépard.

La facilitation, c’est aussi penser les meilleures façons de faire pour la planète. S’il se dit lui-même sensible à la nature, à l’absurdité de la surconsommation et à la spiritualité sous ses dehors de dandy urbain, Anthony reconnaît que c’est Mihaela qui a poussé à mettre en avant l’orientation environnementale de l’entreprise.
Cette valeur ne se traduit pas ici par des petites actions de RSE, mais par une vraie cohérence sur toute la chaîne de valeur de son cœur de métier. Comme il est inscrit en grand format sur la façade du siège, Anthony Motors s’est donné pour mission de « bâtir un monde plus équitable, inclusif et durable pour toutes et tous. »
Circularité
Une cohérence qui commence, comme on l’a dit, par l’allongement de la durée de vie des engins. « Nous avons fait réaliser une étude par Carbone 4, qui conclut que remplacer un moteur de machine par un moteur d’occasion, par rapport au rachat d’une machine neuve équivalente, diminue les émissions de gaz à effet de serre de 90%, car c’est la fabrication de la machine qui a le plus d’impact. Le seul impact que nous ajoutons est celui du transport, mais il est assez faible dans l’équation », précise Youcef.
« Notre force, c’est que quand on vend un moteur, nous récupérons l’ancien. »
Mais ce n’est pas tout. L’enjeu est d’introduire dans les process le plus de circularité possible. « Notre force, c’est que quand on vend un moteur, nous récupérons l’ancien. Nous ramenons ces moteurs défectueux ici, et soit nous les réparons, soit nous les confions à des ateliers de reconditionnement, afin de les remettre dans le circuit le plus possible. Si rien n’est possible, nous les désossons pour récupérer les pièces détachées. Ce qui n’est vraiment pas récupérable est trié et revendu au poids à des entreprises de recyclage », expliquent les deux dirigeants.
Youcef ajoute que « même les huiles sont récupérées, car elles peuvent encore servir pour graisser les chaînes de tronçonneuses. »

Pour découvrir une autre entreprise qui applique des principes d’écologie dans le secteur du BTP, lire aussi le reportage : « Comment MS s’efforce de faire entrer le BTP dans l’ère du circulaire« |
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« Les imaginaires, médiation culturelle de la résilience territoriale »
Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour des « imaginaires » et de la manière dont ces représentations culturelles façonnent notre engagement
48ème Rencontre Tikographie, jeudi 10 avril 17-19h (au KAP) – tous publics, accès libre
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Faire encore mieux
Reste que le moteur diesel apporte sa part de pollution, tant en carbone qu’en particules fines. Les deux dirigeants en sont bien conscients et sont à l’affût de solutions de remplacement de la technique et non plus du moteur. « Nous sommes en train d’étudier un kit de conversion GPL », indique Anthony. Youcef complète : « Cette technique existe pour les voitures mais n’est pas encore au point pour les gros engins. C’est en cours de développement. Cela permettrait d’aller vers un changement de moteur pour une solution plus propre en conservant les machines. »

Agile comme le guépard, l’entreprise auvergnate s’adapte aussi au renforcement des normes et parvient à relever le défi de fournir des moteurs diesel « plus propres », adaptés aux modèles de tracteurs et engins récents. Même la perspective d’une évolution vers l’électrique laisse les deux dirigeants confiants : « La transition viendra, mais c’est à prévoir avec 30 ou 40 ans de retard sur le secteur de l’automobile, donc ça nous laisse du temps. De toute façon, ça n’a rien d’effrayant, car on aura l’opportunité d’être dans les premiers à pouvoir répondre sur ce marché. »
« La transition viendra, mais c’est à prévoir avec 30 ou 40 ans de retard. »
Pour le présent, Alberto Motors se contente de freiner à son échelle la fabrication de tracteurs ou pelleteuses supplémentaires, et d’aider les agriculteurs à réduire le poids des investissements et de l’endettement qui va avec. Son rythme est d’un millier de moteurs remplacés chaque année, sur des machines dont la majorité date des années 1980 à 2010.
Ouverture et mixité
L’entreprise vient de connaître une période de surchauffe manifestement douloureuse, qui serait plutôt à raconter dans un média dédié à l’entrepreneuriat et aux affaires. « Pour répondre aux exigences d’un investisseur, nous avons connu une très forte croissance. Nous sommes passés de 12 à 47 personnes en six mois… mais nous y avons perdu notre identité », reconnaît le président-fondateur. Pour retrouver son assise humaniste, l’entreprise a réussi à faire sortir du tour de table l’investisseur en question et a dû questionner son organisation. « Nous nous sommes recentrés sur les personnes les plus engagées et nous sommes en phase de régénération », résume Youcef.
« On ne fait pas exprès de recruter cette diversité. »
Dans ses nouveaux locaux lumineux et agencés en un open space – où les bureaux des dirigeants se fondent parmi les autres – l’équipe de 28 personnes retrouve son goût du respect du client, des valeurs humaines et de la croissance naturelle et qualitative. Un ADN qui s’affiche en slogans sur les murs des locaux.

Anthony me fait remarquer la grande mixité de cette équipe où se mêlent les origines roumaines, péruviennes, africaines et nord-africaines, m’assure-t-il, mais aussi des Français de la ville et de la campagne, et des personnes de tous âges. Et même une mixité de métiers, faisant cohabiter les « poètes » du secteur commercial et la rigueur des comptables, voire les mécaniciens qui œuvrent à vue derrière une cloison en partie vitrée. « Je suis un enfant du monde car l’Angola n’est pas mon pays et parfois je ne me sens pas tout à fait à ma place ici, dit-il. Donc je crois à la mixité. On ne fait pas exprès de recruter cette diversité : c’est la compétence qui prime, mais on n’exclut pas. »
Par tous ces aspects, l’endroit semble murmurer une conclusion sur la nécessité de s’appuyer sur les valeurs humaines si on veut prospérer, même dans les affaires : inclusion, respect des personnes et de l’environnement sont des facteurs de résilience. Pour faire écho à un autre Guépard, rappelons-nous qu’« il faut que tout change pour que rien ne change. »
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le mardi 4 mars 2025. Photos Marie-Pierre Demarty. A la une : la façade des locaux d’Alberto Motors, rue Jacqueline-Auriol à Aubière, avec une citation de son fondateur qui peut étonner pour un vendeur de moteurs diesel !
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