Où en sont les saumons de l’Allier ?

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Saumons photographiés dans l'observatoire
« L’Allier, rivière à saumons », clament les panneaux à chaque pont qui la franchit. Mais en reste-t-il vraiment ? Dans quel état sont les populations ? Posons la question à ceux qui les comptent…

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Habitant une commune bordée par l’Allier, je franchis presque tous les jours des ponts qui proclament qu’elle est une « rivière à saumons ». Cela me procure une petite fierté chauvine (pas vous ?) : les riverains de la Seine ou de l’Isère, de l’Aa ou de la Savoureuse ne peuvent pas en dire autant.

En même temps, je me demande depuis des années si cette population n’est pas un mythe, et encore plus depuis que mes reportages m’amènent à découvrir l’ampleur des dégâts que causent les problématiques environnementales (c’est-à-dire nous-mêmes, hein !) sur la qualité et le débit de nos rivières.

J’ai donc enfin pris la décision de m’informer sur le sujet. Telle le saumon, je suis remontée aux sources.

Au passage, j’ai appris plein plein de choses sur ces incroyables poissons grands migrateurs, dont l’épopée n’a rien à envier à celle d’Ulysse. J’ai aussi rafraîchi mes lointaines connaissances acquises à l’école primaire (vous savez : les saumons qui reviennent de la mer et remontent pour se reproduire dans les rivières, les anguilles qui en sens inverse, quoique pas dans la même trajectoire, s’en vont pondre du côté des Caraïbes…). Et il m’a été confirmé que l’heure est grave…

Il fallait bien que je partage tout cela avec vous. En route pour le grand voyage !

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Le mode de vie et de reproduction du saumon le contraint à de très longues migrations, et notamment ceux qui naissent dans la partie amont de l’Allier : ils font un voyage de plus de 800 km jusqu’à l’estuaire de la Loire, puis poursuivent vers leur zone d’engraissement, autour du Groenland et des îles Féroé. Puis après 2 ou 3 ans, ils refont le chemin en sens inverse, vers la rivière où ils sont nés et pas une autre. A partir de l’entrée en eau douce, ils cessent de se nourrir jusqu’à la ponte. Une épopée pleine d’embuches que très peu des alevins de chaque génération parviendront à accomplir jusqu’à la reproduction.
  • L’association Loire Grands Migrateurs (ou Logrami) est chargée de les observer, les compter, les étudier pour fournir des données aux décideurs publics, aux constructeurs ou gestionnaires de barrages et au public, et de les défendre dans les instances de gestion de l’eau. Elle les recense à la hauteur de 9 passes à poissons, dont 5 sur l’Allier et la Sioule, itinéraires de la très grande majorité des poissons du bassin versant ligérien. 85% en moyenne franchissent la passe de Vichy.
  • Après une première chute dramatique des effectifs dans les années 1970-80 due surtout à la construction de barrages, la situation s’était améliorée grâce à l’interdiction de la pêche, à l’amélioration des passes à poisson et autres mesures. Mais depuis 2018, les populations sont en baisse continue, principalement en raison du dérèglement climatique. En 2024, seulement 62 individus ont été recensés à Vichy.

Le petit alevin de saumon qui naît en amont d’Issoire, ou plus sûrement entre Brioude et Luc (en Lozère), commence par se fortifier jusqu’à avoir la solidité nécessaire pour entreprendre son grand voyage. Il est alors une sorte d’ado, qu’on appelle smolt chez les saumons. Avec ceux de ses milliers de frères et sœurs qui ont survécu aux premiers prédateurs et accidents divers, il s’élance, et dévale, dévale, dévale…

Il aura parfois à emprunter des escaliers, dont il ne sait pas qu’il s’agit de passes à poissons aménagées par les humains pour lui faire franchir les barrages. Sauf à Vichy, où on l’a estimé capable de faire le grand double saut, en deux « marches » de 4 mètres d’abord, puis 2 m : un vrai défi. S’il le réussit, la dévalaison se poursuit dans l’Allier, puis dans la Loire. S’il a beaucoup de chance, il atteindra l’estuaire. Et son voyage ne sera pas encore terminé. À travers l’Atlantique, il prend d’instinct la direction du Groenland ou des îles Féroé, là où il établit ses quartiers pour deux ou trois ans.

Retour aux sources

Car chaque classe d’âge se divise plus ou moins en deux à parts égales : ceux qui restent deux ans et ceux qui partiront un an plus tard (les plus hardis, cependant, ne patientent pas plus d’un an dans les eaux nordiques). Pendant ce séjour océanique, ils se gavent au plus qu’ils peuvent. Obèse et musclé : c’est le profil de l’adulte prêt à un nouveau grand voyage. Le plus incroyable est encore à venir…

Car le saumon, dans l’immensité de l’Atlantique, retrouve précisément l’embouchure du cours d’eau qui l’a vu naître et pas un autre. Quelques saumons de l’Adour, de la Garonne, de la Dordogne ou des petites rivières bretonnes peuvent éventuellement s’égarer ailleurs, ce qui renforce leur patrimoine génétique. Mais pas ceux du bassin Loire-Allier. Ceux-là ont le plus long voyage à entreprendre : une remontée de 800 à 900 km qui n’est pas à la portée de tout le monde – et des marqueurs génétiques particuliers ont montré que les Ligériens forment une population à part.

Vue en surplomb de l'Allier vers Vic-le-Comte
L’Allier dans sa traversée du Puy-de-Dôme, ici entre les Martres-de-Veyre et Vic-le-Comte. Depuis l’estuaire jusqu’à ses zones de reproduction, le saumon effectue un périple de 800 à 900 km : un vrai défi.

Le défi à ce stade, c’est qu’à partir de son retour en eau douce, le saumon cesse de s’alimenter complètement. Il va vivre sur ses réserves et s’amincir « pour laisser de la place aux œufs à l’arrivée », m’explique mon interlocuteur, Timothé Parouty, qui me raconte cette épopée depuis l’observatoire des poissons migrateurs, à la hauteur du barrage de Vichy.

Terminons tout de même l’épopée avant de présenter Timothé, l’organisme qui l’emploie, l’observatoire et les enjeux de ces observations.

L’Allier, voie royale

Pour le saumon lui-même, l’enjeu à ce moment où il passe devant Saint-Nazaire dans le sens aval-amont, « c’est de remonter le plus loin possible, le plus vite possible, pour rejoindre les eaux qui restent fraîches en été ; il lui faut donc perdre le moins de temps possible », résume Timothé. Et ce n’est pas gagné.

Le voyage commençant vers le début de l’année, Monsieur ou Madame Saumon doit trouver le bon moment pour bénéficier des eaux qui lui conviennent : idéalement entre 10° et 20°C, surtout pas moins de 3 ou 4°C, et cela en continu. Comme le cerisier ou le pommier de votre jardin, le saumon n’aime pas les gelées tardives ! Les mauvaises années, il devra affronter aussi les envasements qui encombrent l’estuaire, les eaux trop basses, les accidents de parcours. Il devra trouver l’entrée de chaque passe à poisson – « cela peut prendre de quelques minutes à plusieurs jours » – et ne pas se tromper de chemin, au risque de se trouver coincé dans un affluent peu propice à la reproduction, ou face à un barrage réellement infranchissable, comme Villerest sur la Loire.

« L’enjeu, c’est de remonter le plus loin possible, le plus vite possible. »

L’itinéraire le plus évident, c’est l’Allier, véritable autoroute des saumons. Environ 85% de ceux qui franchissent l’embouchure de la Loire choisissent cet itinéraire et empruntent la passe de Vichy (la septième depuis l’estuaire) ; 5% quittent l’Allier un peu avant pour s’engager dans la Sioule. Quelques originaux auront bifurqué plus tôt, vers les bassins Vienne-Creuse ou Loire amont.

Lire aussi le reportage : « Mais pourquoi l’Allier est dite « rivière sauvage » ? »

Deux sur dix mille

Croisant les smolts de l’année, ils passent Vichy au printemps : les premiers en mars, le gros de la troupe en avril-mai, quelques retardataires en juin… mais avec des risques grandissants, car les saumons n’aiment pas l’eau chaude : au-delà de 20°C, ils commencent à être moins à l’aise ; à 27,5°C, c’est la mort certaine. Il leur faut donc une thermie appropriée et des débits suffisants. Petites crues bienvenues, pourvu qu’elles ne surviennent pas au moment de la ponte ou du développement des petits, car il faut pour cela des « radiers », c’est-à-dire des zones courantes, peu profondes, tapissées de cailloux, qu’un orage gonflant la rivière pourrait malencontreusement dévaster.

Saumon dans la passe à poissons de Vichy
En moyenne depuis 28 ans, 511 saumons adultes franchissent la passe à poissons de Vichy chaque année. L’an dernier, seulement 62. – Photo Logrami

Les habitats les plus propices à la reproduction se situent dans les gorges de l’Allier. Et côté Sioule, entre Ebreuil et le « mur » du barrage de Queuille, bien trop énorme pour qu’on ait pu envisager un aménagement.

Terminons-en avec les chiffres qui donnent la mesure de la prouesse de ce migrant obstiné. En proportion, pour 10 000 smolts dévalant depuis le Haut-Allier, seulement deux parviendront à faire le voyage de retour et repasseront à Vichy en sens inverse. Et parmi ceux qui passent Vichy, 26% arrivent jusqu’à Langeac, la station de comptage suivante sur leur route.

« Chaque saumon compte. »

« Mais le saumon est très résilient », assure Timothé. Et on est d’autant plus heureux de l’apprendre que les effectifs ne sont pas pléthoriques. En moyenne depuis qu’ils sont recensés (à partir de 1997), ils sont 511 à passer Vichy dans le sens de la remontée. L’an dernier, ils étaient 62 – « la pire année depuis qu’on les compte », commente Timothé, d’autant plus que les effectifs étaient déjà sous la barre des 100 l’année précédente.

Dans la Sioule, les effectifs sont encore plus minces : les 22 passages comptabilisés à Jenzat en 2024 constituaient, dit-il, « une belle surprise », soulignant que « chaque saumon compte ».

« L’année tiko 2024 », 16 portraits et reportages sur des initiatives puydômoises inspirantes. Disponible à partir du 12 décembre auprès de notre association (lien ci-dessous) ou à la librairie des Volcans au prix de 19 €

Ceux qui comptent

Comment on sait tout ça ? Grâce à Logrami. Sous ce mystérieux acronyme se révèle l’association LOire GRAnds Migrateurs. Créée en 1989 sous l’impulsion des fédérations de pêche, elle est dédiée à l’étude, à l’établissement et à l’analyse de données, à la sensibilisation sur ces poissons, et cela à l’échelle de l’ensemble du bassin versant de la Loire. Les saumons, mais aussi les lamproies, les aloses et les anguilles – les plus emblématiques parmi les espèces qui passent l’estuaire de Saint-Nazaire – sont dits « grands migrateurs » car leurs pérégrinations s’étirent à la fois en eau douce et en milieu océanique, chaque espèce ayant ses comportements spécifiques.

« On est porte-parole de ces poissons. »

Logrami a donc pour rôle de compter et observer ces poissons, grâce à 9 stations réparties sur l’ensemble du bassin. Elle effectue d’autres actions destinées à affiner cette connaissance, comme les études par radiopilotage, en plaçant des émetteurs sur des individus pour comprendre leur comportement, leurs difficultés, leurs obstacles… Le but est de rassembler des données précises et des analyses fines à mettre notamment à la disposition des décisionnaires : autorités publiques, instances gestionnaires de l’eau, constructeurs de barrages… Ces données sont cependant accessibles à tous sur le site de Logrami.

Timothé devant les baies de l'observatoire
Timothé Parouty, technicien de Logrami, me fait visiter l’observatoire de Vichy, avec ses grandes baies à travers lesquelles on peut, à la bonne période, surprendre les saumons qui remontent la passe.

L’association a aussi pour rôle la sensibilisation du public et des acteurs du territoire, et la défense des besoins de ces espèces aquatiques dans les instances de concertation sur la gestion et les usages de l’eau. « On est porte-parole de ces poissons », résume Timothé, qui ajoute la formule caractérisant l’association : « Mieux connaître pour mieux préserver. »

Timothé Parouty est en effet un des neuf salariés de l’association, répartis principalement sur les deux antennes de Saint-Pourçain et de Poitiers. Avec ses collègues de Saint-Pourçain, il a en charge la surveillance du bassin de l’Allier, avec notamment ses cinq stations de comptage : Vichy, Langeac et Poutès-Monistrol pour l’Allier, Saint-Pourçain et Jenzat pour la Sioule. Ici, le passage d’autres poissons migrateurs est devenu anecdotique. Le saumon est l’espèce phare, comme chaque pont de la région nous le rappelle.

Un escalier de 22 marches

Comment ça marche, une station de comptage ? Zoomons sur celle, stratégique, de Vichy. Ici, le barrage a été construit entre 1961 et 1963, avec une vocation unique qu’on pourrait aujourd’hui juger futile : agrémenter la station thermale d’un plan d’eau, le fameux « lac d’Allier ». Six mètres de dénivelé, infranchissable à la remontée.

« Une retenue d’eau, c’est aussi de l’habitat perdu. »

L’aménagement de ces barrages successifs, par la suite surtout en vue de produire de l’électricité, a été la cause principale de la première chute drastique des effectifs de grands migrateurs : ils ont morcelé le parcours.

Et même si les passes ont été assez vite installées, d’autres risques sont plus difficilement effaçables : « Un barrage fait perdre du temps au saumon, qui peut même se blesser, se fatiguer. Une retenue d’eau, c’est aussi de l’habitat perdu, des radiers qui n’existent plus ; sans compter que ces surfaces d’eau immobile favorisent le réchauffement du cours d’eau », explique Timothé.

Lire aussi le reportage : « Votre étang impacte-t-il la santé des cours d’eau ? »
La passe à poissons vue d'en haut
Vus de la berge, l’entrée et les premiers bassins de la passe à poissons, qui forment un itinéraire en S.

À Vichy comme ailleurs, a donc été installé un premier « ascenseur » sur la rive droite. Escalier serait un terme plus juste, car il s’agit de 22 bassins successifs de 3 m de large, qui constituent autant de petites marches. Chacune élève les poissons de 20 cm. Le circuit est constitué de telle sorte que des remous agitent les bassins « pour inciter les poissons à passer le plus vite possible », précise mon guide.

Un débit et un jet supplémentaires sont ajoutés à l’entrée pour attirer le poisson – le barrage étant large de 230 m, il faut la trouver ! Une vanne sur le côté, à hauteur du « sabot » qui constitue l’assise du barrage, donne une chance supplémentaire au saumon assez athlétique pour franchir ce premier bond de 2 mètres de hauteur. Et à la sortie de la passe, un dernier bassin plus calme permet aux poissons de se reposer de ces épreuves avant de reprendre leur course plus tranquillement.

Vue du barrage depuis la berge
Le pont-barrage à la sortie du lac d’Allier. Il est formé de deux marches : le barrage lui-même, et en contrebas le sabot qui constitue son assise. Si le saumon parvient à sauter sur ce dernier, il peut rejoindre la passe à poissons par la vanne qu’on voit au premier plan.

La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)

« Les imaginaires, médiation culturelle de la résilience territoriale »

Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour des « imaginaires » et de la manière dont ces représentations culturelles façonnent notre engagement

48ème Rencontre Tikographie, jeudi 10 avril 17-19h (au KAP) – tous publics, accès libre

Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.

Filmés H24

En 1997, des travaux ont été entrepris pour améliorer le système. À cette époque, les barrages, sans doute aidés par des phénomènes de pollution et par la pratique de la pêche, avaient amené une chute alarmante des effectifs, au point que la pêche a été interdite en 1994 – et jamais rouverte jusqu’à ce jour. À Vichy, une deuxième passe a été ajoutée sur la rive gauche. Un observatoire (géré par la Ville) a été intégré : « un outil presque unique » permettant de voir par transparence dans les derniers bassins de la passe principale et de s’informer par de nombreux panneaux et photos, une belle maquette, une carte interactive.

La maquette explicative de la passe à poissons
Dans la salle d’accueil de l’observatoire, une grande maquette permet de comprendre le fonctionnement de la passe à poissons.

Et surtout, c’est le moment où la station de comptage est entrée en service. Elle se situe à la sortie de la passe.

Après sa pause dans le dernier bassin, le poisson doit se faufiler dans un dernier espace encore plus contraint, large de 50 cm et éclairé pour que les poissons puissent être vus depuis le bureau dont il est séparé par une (épaisse) vitre transparente.

« Sur environ 25 espèces présentes, certaines ne sont pas faciles à distinguer. Mais pour le saumon, c’est simple ! »

Timothé explique le principe : « On voit les poissons en ombres chinoises, ce qui nous permet de relever leurs caractéristiques et de les identifier. La caméra est installée 24 heures sur 24 et se déclenche à chaque passage d’un ‘objet’ : poisson, feuille, branche… Chaque semaine, nous relevons ces films, nous identifions les poissons. Sur environ 25 espèces présentes, certaines ne sont pas faciles à distinguer. Mais pour le saumon, c’est simple ! »

Évidemment, une autre caméra installée sur la passe de la rive gauche complète le dispositif.

Le dispositif de comptage : un espace étroit et éclairé par le haut, passage obligé vers la sortie de la passe pour le poisson, est situé derrière cette vitre qui donne sur le bureau. La caméra que l’on voit à gauche de l’écran filme tout ce qui passe. Les enregistrements sont relevés hebdomadairement. Sur l’écran : un des derniers saumons captés par le dispositif, le 24 mars.

Mauvaise rechute

Tandis que nous parlons, un hotu se profile brièvement, puis se replie vers la « salle de repos » : une de ces espèces peu présentes il y a quelques décennies mais qui colonisent peu à peu les bassins en provenance de l’est de l’Europe, remontant par les canaux.

Pas de saumon en ce mercredi après-midi. Pourtant ils ont bien commencé à pointer le bout de leurs branchies. Timothé m’annonce 17 spécimens au compteur. Mais en faisant défiler les derniers enregistrements qu’il n’a pas encore visionnés, nous en repérons six de plus sur une plage de quelques heures du 24 mars.

« Ces années optimales se raréfient. »

Une bonne nouvelle, car l’heure n’est pas à l’optimisme. Les mesures prises dans les années 1990 avaient fait remonter les statistiques autant que les saumons, avec des pics à plus de 1000 individus en 2003 et 2015 et de bons résultats jusqu’en 2017.

Les crues sont des alliées du saumon si elles tombent au bon moment, lorsqu’il a besoin d’un bon débit pour remonter facilement. Tout est dans le timing…

Mais depuis, c’est la dégringolade. En cause (vous commencez à le deviner) : le dérèglement climatique. « 2024 a été une année idéale pour les saumons, avec de forts débits au printemps, de petites crues au bon moment, des températures pas trop élevées. Mais ces années optimales se raréfient. Depuis 2005 nous en avons une en moyenne tous les dix ans, alors qu’on en observait une tous les trois ans entre 1980 et 2004 », explique Timothé.

Surtout, les années très chaudes et très sèches de 2022 et 2023 ont été catastrophiques, avec en plus des pluies diluviennes tombées aux plus mauvais moments, causant de gros dégâts sur les œufs ou les alevins.

Peut mieux faire ?

Et les tendances ne vont pas se corriger en une seule meilleure année. Car les saumons, rappelons-le, ne reviennent pour la plupart que deux ou trois ans après leur dévalaison. Le baby-boom de 2024 ne sera donc de retour qu’à partir de l’année prochaine. Et qui sait quelles conditions météo ils trouveront en route ? « Il faudrait un peu de stabilité pour reconstituer les populations à des niveaux intéressants », souligne mon interlocuteur.

« Nous avons la chance d’avoir le barrage de Naussac, mais il ne faudrait pas considérer que c’est normal. »

Il énumère les leviers que Logrami et ses partenaires s’efforcent d’activer : « On se bat sur les débits d’étiage, où nous sommes en ‘concurrence’ avec d’autres usagers. Sur l’Allier, nous avons la chance d’avoir le barrage de Naussac qui permet de soutenir le débit, mais il ne faudrait pas considérer que c’est normal. Et on se base de toute façon sur des débits très bas : le moindre mètre cube compte. » Faire changer les règles de gestion de l’eau sur la base de ces nouvelles conditions climatiques, faire améliorer les conditions de passage des barrages sont d’autres leviers importants aussi.

« Vichy est le point noir », dit le technicien, qui pointe des petits dysfonctionnements sur la passe principale, et l’absence de passe dans le sens descendant. Un projet de centrale hydroélectrique à hauteur du barrage, bien avancé en 2021, a finalement été suspendu quand les coûts des matériaux ont explosé l’année suivante, et parce qu’un recours en justice a été déposé par des structures opposées à cet équipement. « Il aurait pu être une opportunité d’apporter des améliorations », regrette le technicien. Mais il compte aussi sur ce qu’il appelle « l’incroyable faculté d’entêtement des saumons », dont il a vu des fortes têtes passer l’obstacle à la période où « on pouvait quasiment traverser l’Allier en bottes ».

Timothé montre un point sur la carte interactive
Sur la carte interactive de l’observatoire, où on peut choisir de suivre l’itinéraire des différentes espèces de grands migrateurs, Timothé retrace celui du saumon et pointe les obstacles qu’il rencontre.
Lire aussi le double reportage : « Vu du barrage #1/2 : c’est quoi au juste, Naussac ? » et « Vu du barrage #2/2 : Naussac face aux défis du changement climatique »

Espèce patrimoniale

Reste que certaines données sont encore mal connues, concernant par exemple le périple des smolts, plus difficile à observer que la remontée. Ajoutez tout ce qui se situe dans l’océan, qui n’est pas du ressort de Logrami… et on peut supposer que le dérèglement climatique ou la surpêche ont là aussi des conséquences. « Les zones d’engraissement se décalent vers le nord et rallongent la migration », indique Timothé.

Panneau "L'Allier, rivière à saumons" devant un pont à Corent
Espèce emblématique, le saumon fait partie de la mémoire et de la fierté de notre région : raison de plus pour le protéger !

Mais pour finir, je pose une question volontairement provocante : pourquoi est-ce important de garder des saumons dans l’Allier ? « Parce que c’est une espèce patrimoniale, lance Timothé en faisant allusion à l’époque où il pullulait au point de nourrir les riverains quotidiennement et était ancré dans la culture locale. Il est aussi une ‘espèce parapluie’ : il traduit le bon état de la rivière, la qualité des eaux et le préserver permet de protéger avec lui tout un écosystème. »

Sans compter que sa disparition ferait mentir tous ces panneaux qui claironnent fièrement à chaque pont : « L’Allier, rivière à saumons ».

Pour en savoir plus sur Loire Grands Migrateurs et sur les très nombreuses données et informations que l’association met à disposition, consulter son site internet.
On y trouve également de nombreux documents et matériels pédagogiques, y compris des bandes dessinées, des jeux, des posters…
Et pour visiter l’observatoire (géré par la Ville de Vichy) : périodes et horaires d’accueil sur le site de la Ville.

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le mercredi 26 mars 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf indication contraire. A la une : deux saumons franchissant la passe à poissons de Vichy, surpris à travers les baies vitrées qui les séparent de l’observatoire – photo LOGRAMI

Soutenez Tikographie, média engagé à but non lucratif

Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par une association dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.

Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six façons d’aider à ce média à perdurer :

La Tikolettre : les infos de Tikographie dans votre mail

Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?

Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.