La laine locale, fil conducteur de l’artiste Céline Camilleri

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Céline devant une de ses oeuvres
Partie du tissage de tapis, Céline Camilleri a laissé ses créations s’émanciper du métier à tisser pour devenir sculptures de dentelles géantes. Un univers aux inspirations lointaines et exotiques, mais ancré dans les Combrailles et jouant avec un matériau humble, rustique, local... et fascinant.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Et dire qu’on s’habille massivement avec des fibres fabriquées au bout du monde, à base de pétrole, et presque aussitôt jetées après le premier usage !

Pendant ce temps, la laine des moutons, abondante dans le Massif central, renouvelable et fabriquée à base de l’énergie non fossile des prairies de nos montagnes, ne trouve pas de débouchés et finit en déchet ou en fumier…

Question de mode, d’image, de coûts de fabrication sans doute, de choix de société aussi.

Le rôle de l’artiste, dit Céline, est de « faire des choses qui ne servent à rien. » Ce faisant, il ou elle peut incidemment nous amener à modifier nos imaginaires, et nous révéler la richesse, la beauté, l’infinie palette de ce qui est à notre portée : que ce soient des matériaux comme la laine ou des savoir-faire comme la dentelle ou le tissage. Rendre noble et désirable ce que nous ne voyons plus, ce que nous avons ringardisé.

Autrement dit, nous détricoter…

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Dans son atelier des Combrailles, Céline Camilleri travaille les laines locales dont elle apprécie la grande diversité et la rusticité. Après les avoir tissées en tapis et tapisseries, elle est passé de l’artisanat d’art à un travail d’artiste plasticienne, en créant des cordons composés d’un fil métallique de 7 mètres de long enrobé de fils de laine, ce qui lui permet de les entrelacer et de créer des sculptures, bas reliefs et décors évoquant le végétal. D’abord avec des laines dans leurs couleurs naturelles, puis en les teintant pour faire ressortir encore plus la particularité de chacune. Elle les travaille aujourd’hui en utilisant la technique de la dentelle au carreau, très agrandie pour mieux la révéler.
  • Ses créations évoquent des paysages, du mouvement, la façon dont les corps occupent l’espace. Elles recèlent des inspirations diverses aussi, de l’épure des arts japonais à l’exubérante végétation d’Amérique du sud, et tendent de plus en plus vers un réalisme magique. Elles sont reliées aussi aux paysages des Combrailles et à ce terroir où Céline vit et anime des ateliers très oniriques avec les personnes âgées, activité contrastant fortement avec celle de l’atelier, mais qui nourrit aussi son univers.
  • Grâce au soutien de l’association de promotion de la filière laine au départ, elle commence à être repérée et appréciée dans les showrooms, salons et expositions collectives à Paris. Une de ses intentions est de faire changer les imaginaires autour de cette matière locale et disponible, qui n’est pas (encore) considérée comme précieuse, mais s’avère riche d’un sublime potentiel. Y compris l’épaisse et rugueuse toison des ravas puydômoises, qu’elle rêve de travailler un jour, si des professionnels audacieux voulaient tenter l’expérience de la filer.

Dans l’atelier lumineux éclairé par le soleil qui toque à toutes les baies et velux, Céline détaille les étapes de son travail. Autant d’étapes par lesquelles vont passer les cônes et pelotes de laine sagement rangés au fond, sur des étagères. Ces laines ont encore leurs belles nuances naturelles : écrues, bises, miel… jusqu’aux plus sombres, issues de la toison caractéristique des brebis de race Noire du Velay.

Comme pour boucler une boucle, à l’autre bout du processus de création se retrouve un autre produit typique de la Haute-Loire : la dentelle aux fuseaux. Car une fois ces fils de laine sélectionnés, teintés, assemblés, embobinés sur un fil métallique de 7 mètres de long, ce qu’elle nomme à ce stade des « cordons » seront entrelacés en un gracieux treillis, selon une étonnante extrapolation de la technique des dentellières.

Agrandissement

Sauf qu’ici, le carreau a la dimension d’une table. Les mailles très lâches de ces cordons aux couleurs, épaisseurs et aspects disparates n’ont plus beaucoup de parenté apparente avec les sages napperons de nos grands-mères. « On croit que c’est aléatoire mais c’est hyper ordonné », prévient Céline alors qu’elle a repris presque machinalement son ouvrage en essayant de me l’expliquer : « Chaque fil doit s’entrecroiser avec les autres une fois dessus, une fois dessous, jamais deux fois de la même façon, tout en suivant le motif. Si tu te trompes à un moment, ça perturbe tout. »

Céline à l’œuvre dans son patient travail de dentelle en format géant, qui demande précision et concentration.

Au fur et à mesure, elle plante les épingles qui maintiennent le travail, suivant un quadrillage qui lui sert de repère, puis se recule pour faire suivre le mouvement de son nouvel entrelac à toute la longueur des fils-cordons manipulés et éviter qu’ils s’emmêlent. Puis se penche à nouveau sur le rang en formation, réfléchit, entrecroise d’autres brins, plante une nouvelle épingle. Et ainsi de suite… « Quand tu passes de la technique de base sur le carreau de dentelle à l’échelle de mes cordons, ça met en valeur le motif, en l’agrandissant », commente-t-elle.

« Si tu te trompes à un moment, ça perturbe tout. »

Arrivée au bout du rang, à la bordure, elle décide que c’est le moment de faire une pause. « Je ne peux pas y travailler trois heures d’affilée, car il faut rester très concentrée. C’est un travail lent et très précis », dit-elle encore avant de m’entraîner boire un café au soleil du jardin, où nous continuerons la conversation.

Céline avec le grand panneau de dentelle bleu
Une fois achevé, ce grand panneau de dentelle bleue sera associé à un autre de même format. Céline leur donnera un relief pour les faire danser dans l’espace comme une sorte d’embrassade.

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La riche diversité des laines

Auparavant, elle m’a montré de plus près sa matière première : une vingtaine de laines diverses. « À première vue, elles se ressemblent, mais elles sont de provenances différentes, tordues différemment, et même de millésimes différents car la laine n’a pas exactement le même aspect selon ce que la brebis a mangé, quelle météo elle a subi, etc. Elles présentent une variété de textures, de lumières, de couleurs qu’il m’intéresse de mélanger et de mettre en valeur : je joue sur la plastique de ces nuances », dit-elle en me montrant les laines naturelles.

Etagères où sont entreposés les cônes et pelotes de laine dans leur couleur naturelle
Céline travaille une vingtaine de laines différentes, chacune ayant sa personnalité et sa couleur naturelle propre.

Elle me cite quelques exemples : la Solognote « qui a suivant les années une tonalité beige, ambre, dorée… », la Limousine testée l’an dernier grâce à Lainamac, l’association animatrice de la filière laine : « C’est une laine rustique qui a été travaillée peignée, c’est-à-dire une technique habituellement réservée aux fils de luxe, pour leur donner un aspect soyeux, lumineux ; le rendu improbable de cette expérimentation m’a enchantée, mais c’est resté à l’état de prototype et je le regrette. »

« C’est une évidence pour moi de travailler des laines locales. »

Elle rêve aussi d’intégrer à ses matières premières la toison des ravas, la race puydômoise, mais personne n’a l’idée de filer celle-ci, trop rugueuse, piquante et rebelle pour trouver des débouchés autres que l’isolant ou le rembourrage de matelas. « J’ai trouvé en Dordogne quelque chose d’approchant avec cette laine d’une race sarde ; en teinture elle est étonnamment lumineuse : elle brille alors que la laine au départ est mate !  », poursuit-elle en attrapant sur l’étagère une pelote d’allure épaisse et bourrue.

Sur une autre pelote, l’étiquette révèle une provenance du Pays basque. « C’est rare que je me fournisse aussi loin, commente-t-elle. Car c’est une évidence pour moi de travailler des laines locales, en relation avec ce qui fait le fond de mon travail : le paysage. »

Une pelote de laine rustique
Presque aussi rustique et épaisse que celle des ravas, cette laine de brebis sardes est produite pour les tapis. Céline aime travailler avec ces matières rares, car peu propices à l’habillement.
Sur d’autres usages des laines locales, lire aussi le reportage : « Terre de Laine, la coopérative qui participe au réveil d’une filière en déshérence »

Passage à la couleur

Après six ans passés à travailler ces laines naturelles, d’abord en tapis, puis en tapisseries, puis en véritables sculptures murales, Céline a franchi le pas de la couleur cette année, à l’occasion d’une exposition collective à Paris sur le thème du végétal. « Mes créations, à ce moment, avaient déjà des aspects très organiques, où on pouvait imaginer des lianes. Mais pour cette installation j’ai eu envie de tester la couleur et je suis partie directement sur quatre verts différents. J’ai d’abord trouvé ça très flashy, mais finalement le rendu est superbe. »

« Tu vois comme la couleur souligne leur diversité. »

C’est cependant sur des bleus qu’elle m’explique le principe, ouvrant sur le parquet de l’atelier un grand sac d’écheveaux où se mêlent toutes les nuances de l’ouvrage en cours : « Ce sont les laines du deuxième panneau, qui portera une autre gamme de bleus, le but étant de les faire s’embrasser », tente-t-elle d’expliquer en mimant la forme encore imaginaire par de grands gestes de bras déroulant une vrille dans l’espace. Revenue au sac, elle annonce avec une nuance de fascination : « Elles viennent toutes du même bain de teinture. Tu vois comme la couleur souligne leur diversité. » 

Le sac des écheveaux de laines teintes en bleu
Un même bain de teinture mais des rendus très divers : au centre, trois laines écrues de différentes provenances ; dans la main gauche de Céline, une laine bise ; vers la droite, le noir intense de la Noire du Velay.

Puis extrayant du sac trois laines de trois teintes claires très distinctes : « Ce sont les écrus. Avant la teinture, tu n’aurais pas fait la différence ! » Elle passe aux laines bises où les fils, observés de près, mélangent du turquoise et du gris bleu. Et enfin la fameuse Noire du Velay : « Elle ressort dans un noir intense – celui que les gens attendent quand je parle de cette race qui est en réalité plutôt brun foncé – mais qui reste très vibrant : tu sens le bleu dedans. »

« Poursuivre Alice » a été la première œuvre de Céline avec des laines teintées. Dentelles et entrelacs de différentes nuances de vert forment un bas-relief de 20 m² de végétal luxuriant, présenté en janvier dernier au salon Maison et Objet. – Photo fournie par Céline Camilleri

Carreau, métier et machine à guiper

Dans l’atelier, je découvrirai une autre pièce en cours de création pour la même exposition que la grande œuvre bleue, combinant le brun intense de la laine et l’éclat des fils de laiton, pour une future composition toute en fleurs, tiges, feuilles et racines – et Céline l’utilisera pour me faire comprendre comment elle détourne la technique des dentellières pour faire s’en échapper des boucles, de gracieuses excroissances, les pétales de ses motifs floraux… Démonstration qui s’appuie aussi sur ses exercices au carreau, plus classiques, ses « devoirs à la maison » pour la formation qu’elle termine à l’Hôtel de la Dentelle de Brioude.

Céline montre son ouvrage en cours
Une œuvre en cours de création, sous la surveillance impassible du métier à tisser : un patient assemblage en dentelle de laine de Noire du Velay et fils de laiton.

Elle me montre encore le petit système low-tech bricolé par son compagnon, avec un crochet fixé au mur mais tournant sur lui-même grâce à un petit moteur : elle y accroche le fil métallique qui sert d’armature à ses cordons, puis le tend sur toute la longueur de l’atelier – d’où leur dimension unique de 7 mètres – pour le « guiper », c’est-à-dire l’enrober de fils de laine serrés, parfois combinés, alternés, harmonisés.

Détail sur un motif de dentelle en cordon bleu
Une fois teintés, les fils de laine sont enroulés en guipure autour d’un fil métallique qui permettra de donner à la structure sa forme et sa tenue dans l’espace. Puis Céline procède à un long travail d’entrelacement de ces cordons, selon la technique de la dentelle aux fuseaux.

Il y a aussi dans ce petit repaire ensoleillé une sorte d’« éléphant dans la pièce » dont Céline ne me parlera que plus tard autour du café. Un grand métier à tisser qui impose sa présence encombrante, mais semble n’avoir d’autre utilité que pour y poser un dossier ou un ouvrage en cours, y accrocher une veste ou y entreposer des sacs de laine.

Mais on devine qu’il fait partie de l’histoire. D’ailleurs, si Céline Camilleri s’est habituée peu à peu à utiliser son propre nom et à assumer du même coup sa stature d’artiste, son activité a porté durant sept ans le nom qui la cataloguait plutôt jusqu’ici parmi les artisans d’art (catégorie métier à bras) : La Tisserie.

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« les sols en danger, pourquoi et comment les protéger« 

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Travailler les imaginaires

Il est peut-être temps de préciser que la rencontre se passe dans un petit hameau des Combrailles, quelque part entre Manzat et Châteauneuf-les-Bains, dans un paysage de bocage printanier agrémenté du chant des pinsons. Si c’est surtout à Paris que ses architectures de laine commencent à être repérées et prisées, son art est ancré dans ce terroir de l’Auvergne rurale.

« La laine n’est pas considérée comme une matière précieuse. »

Les deux pièces qu’elle prépare sont à destination de Révélations, la très sélective biennale internationale des métiers d’art et de création, qui se tiendra en mai au Grand Palais à Paris, où elle est invitée pour la première fois. « Travailler une même matière première m’enthousiasme : je valorise ces laines locales rustiques en recherchant et en me formant à toutes sortes de techniques traditionnelles à leur appliquer : d’abord le tissage, aujourd’hui la dentelle, peut-être aussi le tressage ou la vannerie », dit-elle.

Valoriser ce matériau jusque dans les salons et galeries de la capitale est pourtant une gageure : « La laine n’est pas considérée comme une matière précieuse ; nous sommes plusieurs à commencer à nous faire connaître pour changer son statut à travers un changement de regard. Pour cela il faut travailler les imaginaires. »

Céline montre son travail de formation à la dentelle au carreau
Pour travailler avec précision et inventer ses propres adaptations, Céline s’est formée à la dentelle aux fuseaux traditionnelle. Pas grand chose à voir en apparence avec ses grandes compositions, mais le procédé de base est le même !
Détail de l’œuvre en laine noire et laiton
A partir de cette base technique, Céline crée ses propres formes. Ici, elle m’explique comment elle entrelace les fils de laine et de laiton dans une chaînette classique, mais crée des boucles plus lâches, comme des excroissances de la chaînette, ajoute dans ces excroissances de laiton de nouveaux entrelacs, pour former les nervures d’une feuille pour cette future composition évoquant le végétal.

Quitter le métier

Ce long itinéraire a commencé à quelques encâblures, à Saint-Pierre-Roche où elle vivait, quelques années en arrière. Diplômée de l’École de design de Reims, elle œuvrait alors dans le spectacle vivant, en duo avec son compagnon Adrian, (encore aujourd’hui) marionnettiste. Ils ont fait partie des fondateurs d’un lieu animé et toujours en activité, entre café, salle de spectacle et tiers-lieu : le Poulailler. Lequel avait pour voisin et propriétaire un tondeur de moutons et négociant en laines, Jean-Luc Plissonneau, créateur de l’activité transmise depuis et devenue la scop Terre de Laine. « C’est lui qui m’a fait découvrir les laines locales. La Noire du Velay me parlait beaucoup. Dans ma formation de designer, ça m’avait manqué de ne pas travailler la matière et ça m’a pris de vouloir faire des tapis pour valoriser ces laines locales et pour revenir à une démarche plastique », se souvient-elle.

« Petit à petit, ça m’a échappé. »

Elle se forme donc au tissage sur métier à bras, acquiert le métier en question et se lance. Elle passera ensuite à la tapisserie murale. Puis à la faveur de résidences artistiques, elle s’émancipe du cadre imposé par le métier à tisser : « Petit à petit, ça m’a échappé », sourit-elle.

Céline a d’abord travaillé au métier à tisser à bras : ici une série de tapisseries murales créant un paysage de lignes épurées, créé par l’assemblage de différentes laines du Massif central. – Collection Ateliers d’Art de France, photo fournie par Céline Camilleri

De plus en plus exploratoire, sa technique prend du relief avec la création de ces cordons qui se prêtent à toutes les mises en forme, qui peuvent danser dans l’espace et se métamorphoser en décor imposant, grimper ou ruisseler. « Il y a une idée de mouvement qui a toujours été présente et à un moment, j’ai eu besoin de sortir du métier à tisser. C’est là que le cordon est arrivé. Il est plus autonome, il dessine des trucs tout seul. J’ai commencé par des entrelacs en les torsadant, en les emmêlant : ça ressemblait à des champs de ronces… », évoque Céline.

Installation de tissage primitif écru
S’échappant du cadre du métier à tisser, les installations de Céline ont d’abord pris l’aspect d’entrelacs nerveux et bouillonnants, qu’elle appelle ses « tissages primitifs ». – Photo fournie par Céline Camilleri
Pour découvrir le portrait d’une autre artiste, lire aussi : « Béatrice Begon magnifie les messages de la nature »

Reconnaissance

À mesure qu’elle se fait connaître, elle s’insère aussi dans les réseaux et notamment celui de Lainamac, l’association de promotion de la filière, basée à Aubusson : d’abord pour exposer dans les showrooms à Felletin puis à Paris, et aujourd’hui parmi les « ambassadeurs », une quinzaine d’artistes et artisans mis en avant autour de l’événement annuel Oh my laine !. Depuis cinq ans, elle est aussi membre du Syndicat des Ateliers d’art de France, qui lui ouvre d’autres portes.

Elle est aujourd’hui accompagnée par un agent, cherche à se faire connaître des galeristes, à travailler avec des décorateurs et architectes d’intérieur, voire des particuliers. Comme cette Parisienne qui l’avait repérée lors d’une installation commandée par le Mobilier national, lui a d’abord acheté un tapis, puis commandé récemment tout un décor végétal pour son salon. « Mon travail peut donner une tonalité particulière à un lieu », dit Céline.

Expo à Knocke
Céline adapte ses installations aux lieux qui l’accueillent et y crée un décor onirique très singulier. Ici dans une exposition en Belgique. – Photo fournie par Céline Camilleri

À observer la matière, à comprendre la technique, à suivre le parcours de Céline, on n’a encore presque rien dit du sens profond de son travail, de ses sources d’inspiration, de ce qu’elle essaie de transmettre ou de transcrire. On a relevé qu’il y a du mouvement et du paysage : les lignes conductrices qui la guident autant que le fil de laine.

« Aujourd’hui c’est plus baroque : on est dans le premier plan. »

« Ce que je fais aujourd’hui est dans la continuité. Tout part toujours des paysages que je dessine. Dans mes travaux tissés, c’était contemplatif, posé, succession de lignes comme une vue de très loin ; aujourd’hui c’est plus baroque : on est dans le premier plan. »

Uruguay, Japon… et Combrailles

Du crayon au fil de laine, du fil au cordon armé, c’est le même trait qui se prolonge… et qui s’évade dans un univers de plus en plus onirique. « J’ai l’impression d’aller vers un réalisme magique », confie-t-elle. Celui d’« Alice au pays des merveilles » à qui le titre de sa dernière œuvre renvoyait ; celui de la littérature sud-américaine et de la luxuriante végétation de l’Uruguay où elle a son « jardin secret ».

À l’opposé mais tout aussi prégnants, l’art et la culture du Japon nourrissent aussi son univers. « Il y a une forme d’exotisme dans mon travail, une hybridation, sans qu’on puisse dire exactement d’où ça vient », reconnaît-elle.

« J’ai l’impression d’aller vers un réalisme magique. »

Sans doute aussi un peu des Combrailles, cet environnement proche où, en parallèle de son travail de création, elle est active pour animer le territoire. À l’initiative du Smad des Combrailles, elle participe avec d’autres artistes à un projet un peu fou dans les Ehpad et les écoles ; elle se laisse guider par la fantaisie des aînés, leurs paysages intérieurs et leur imaginaire, pour dessiner et créer avec eux un « Jardin des Merveilles. » « J’ai besoin de cet ancrage dans le territoire, même si c’est parfois épuisant de passer d’un univers à l’autre », reconnaît-elle.

Céline devant une dentelle de cordons écrus
« Il y a toujours du mouvement dans mon travail, une histoire de corps dans l’espace », dit Céline.

Nous remplir d’émotion

Si l’on insiste encore un peu, elle finit par remonter encore plus loin pour retrouver les origines de ce besoin de paysages et d’espaces tracés sur le papier, le tissage ou la sculpture de dentelle… Paradoxalement, le point de départ se trouverait dans ses problèmes de vision : c’est ce qui lui a fait redouter les épreuves techniques et le travail en 3D à l’école de design, mais qui la pousse à exprimer ses propres paysages : « Je n’ai jamais su faire une perspective correcte ! Je cherche en permanence à traduire ma perception, à parler des corps dans l’espace. J’ai besoin de choses qui ne se terminent pas ou qui partent de côté, où il manque un morceau, avec des vides qui permettent une respiration… », tente-t-elle d’expliquer.

Si l’on veut croire que les artistes posent un regard personnel sur le monde, Céline Camilleri est définitivement une artiste, bien qu’elle confie avoir mis beaucoup de temps à l’assumer. À s’autoriser ce qui l’intéresse le plus : « faire des choses qui ne servent à rien sauf à nous remplir d’émotion. »

« J’ai besoin de choses qui ne se terminent pas ou qui partent de côté. »

Jusqu’où l’emmèneront sa perception singulière des paysages et ses kilomètres de fil de laine ? Peut-être à des explorations encore plus improbables… C’est là qu’elle me parle enfin du métier à tisser, avec un petit sourire malicieux : « L’atelier a été construit autour de lui et pour l’instant, je ne m’en sépare pas. J’ai des envies de l’adapter pour tisser mes cordons. Je suis curieuse de voir comment ça va réagir… »

Pour en savoir plus sur Céline Camilleri et son travail, consulter son site internet.
Pour voir son travail prochainement :
> Biennale Révélations au Grand Palais à Paris, du 22 au 25 mai
> « Le Jardin des Merveilles », restitution du travail réalisé avec les résidents des Ehpad des Combrailles, le 22 mai à Saint-Gervais-d’Auvergne (précision à venir sur le fil Facebook du SMAD des Combrailles)
> Exposition collective sur les dentelles de laine en juin à l’Hôtel de la Dentelle à Brioude (dates à venir)

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le vendredi 4 avril 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf mention contraire. A la une : Céline Camilleri devant une de ses œuvres de la période des « tissages primitifs » (photo fournie par Céline Camilleri)

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