Sommaire
Les intervenants
- Catherine Redelsperger, autrice d’éco-fictions et coach,
- Blandine Chazelle, porte-parole du ministère des Imaginaires chez Les Monts qui pétillent,
- Sébastien Saint Martin, comédien et auteur,
- Laura-Lou De Jesus, animatrice de la Fresque des nouveaux récits.
Le podcast
Vous pouvez accéder à un enregistrement « nettoyé » – pour une meilleure écoute – de la Rencontre ici :
La synthèse : Raconter pour entrer en action
Et si… on écrivait l’histoire de notre futur comme on a envie qu’il advienne, justement pour le faire advenir ?
Une rencontre qui traite de l’imaginaire ne peut pas prendre la forme d’une table ronde classique, et encore plus si elle est orchestrée par Pierre Gérard, notre maître de cérémonie du jour. Celle-ci a débuté avec un animateur clownesque arrivé tout droit du futur, une longue histoire à écouter et une invitation des (nombreux) auditeurs à échanger entre eux, avant même que les intervenants ne prennent la parole.
« La situation est suffisamment assainie pour pouvoir rêver. »
Du moins ont-ils entendu dans l’histoire diffusée la voix enregistrée de Catherine Redelsperger, lisant une éco-fiction dont elle est l’autrice. Cette petite nouvelle futuriste nous a fait très concrètement visualiser une représentation de Clermont en 2063, dans un récit mettant en scène trois générations de femmes. Il y était question d’une ferme de spiruline au Brézet, d’un Institut de Kapital d’Echanges d’Aide (ou IKEA), d’une parcelle de forêt urbaine jaudienne plantée de pins parasols et de noyers du Brésil, d’amendes à payer en doumes-watts, d’intelligence artificielle, de bateaux électriques sur l’Allier, d’un virus permafrost et d’une conclusion aussi apaisante que le récit lui-même : « La situation est suffisamment assainie pour pouvoir rêver. »
Réactions partagées par l’assistance : de la joie et de l’optimisme, de l’enthousiasme, de l’étonnement à voir se mêler l’IA à un récit à tonalité utopique. Mais aussi des interrogations : la difficulté à mettre le monde en marche pour aboutir à ce résultat harmonieux, le caractère justement un peu trop utopique ou léger, le scepticisme à pouvoir se contenter de faire rêver pour mettre les gens en action…
Les intervenantes et l’intervenant se sont donc appliqués à démontrer, pratiques à l’appui, l’efficacité des récits pour transformer les esprits et faire changer de direction les trajectoires individuelles et collectives.
Leurs pratiques ? Catherine Redelsperger non seulement écrit des éco-fictions, mais elle s’appuie aussi sur ces récits pour animer des ateliers où les participants, collectivement, écrivent à leur tour l’histoire qui les projette dans un futur désirable. Variantes mobiles de l’exercice : la balade historico-futuriste, où un groupe déambule dans un quartier en découvrant son passé et son futur imaginé.
Blandine Chazelle raconte comment l’association Les Monts qui Pétillent a fait travailler les imaginaires en créant un personnage fantastique et « parfois perturbant », porte-parole du ministère des Imaginaires arrivant d’un « futur possible » pour dialoguer avec les habitants, les élus et décideurs du territoire. Elle raconte aussi comment les enfants d’une école ont été invités à engager une correspondance avec les enfants du futur, à qui ils ont parlé de leur vie quotidienne et posé des questions spontanément très concrètes. Et comment des adultes du territoire se sont prêtés au jeu de rédiger les lettres de réponse.

Sébastien Saint Martin, comédien et coach, incarne quant à lui d’autres personnages, que ce soit dans le spectacle de rue « Staying Alive » qui transpose sur scène le livre « Le Bug humain » de Sébastien Bohler, ou dans des interventions théâtralisées adaptées à la demande de commanditaires, comme notre Monsieur Changement Climatique des soirées Tiko.
« En changeant ces imaginaires, on va faire changer nos motivations à agir.. »
Enfin Laura-Lou de Jesus témoigne des réflexions et apprentissages collectifs proposés dans la Fresque des nouveaux récits : un atelier collaboratif du type Fresque du climat, où l’on finit par comprendre qu’il n’est pas si utopique de transformer des comportements, ou même une norme sociale, en seulement dix ans, et où on met les enseignements en pratique en fabriquant collectivement un récit de transformation.
La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)

« les sols en danger, pourquoi et comment les protéger«
Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour de la question des sols sur notre territoire : importance pour la biodiversité, l’eau, le climat, l’agriculture… et comment les régénérer
49ème Rencontre Tikographie, mardi 6 mai 17-19h (au KAP) – tous publics, accès libre
Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.
Mais au fait, à quoi sert le récit ? Une première chose est sûre, comme le rappelle Catherine Redelsperger : « On est une espèce affabulatrice ; on ne peut pas faire sans le récit. » Et ses voisins d’intervention le précisent : c’est notre moteur.
Aux participants qui s’inquiètent de voir l’imaginaire nous transformer en doux rêveurs, Laura-Lou de Jesus répond que « les récits sont importants pour nourrir l’action. » Et Blandine abonde : « C’est un peu dur à avaler car on pense être des êtres rationnels, mais toutes les décisions que nous prenons sont construites sur des histoires qu’on se raconte. »

L’art du récit n’a rien de nouveau et remonte au moins à Napoléon (comme le rappelle Laura-Lou) ou à tellement plus loin encore, mais peut-être a-t-on aujourd’hui, surtout, « besoin de récits alternatifs », dit Sébastien. Catherine fait ainsi la distinction entre l’imaginaire collectif – « On travaille sur les mythologies » – et l’imagination individuelle, et elle souligne que « pendant des siècles, nous avons vécu sur des imaginaires de domination de la nature » que seul un nouveau récit collectif pourra faire changer… mais « ça va très vite » sur ce sujet, rassure-t-elle.
« Les récits sont très puissants. »
À l’échelle des petits groupes auxquels ils et elles s’adressent, il suffit finalement de peu pour faire bouger les mentalités, sinon les comportements. Catherine parle de « défixer la routine » ; Sébastien y met « de l’humour, de la chair et de l’émotion », projetant ses spectateurs dans « les emmerdements et les futures joies » de nos descendants : « C’est une manière de faire le lien entre le concret d’aujourd’hui et les personnages du futur », dit-il, en écho aux propos de Blandine ou de Catherine qui parlent de « faire des ponts. » Il procède aussi en s’efforçant de « ringardiser des comportements » et en jouant avec la « notion de catharsis », car « les récits sont très puissants. »
S’adressant à la « face immergée » de notre cerveau que sont nos valeurs, Laura-Lou en tire « la conviction qu’en changeant ces imaginaires, on va faire changer nos motivations à agir. » « Élargis les limites de ton imagination pour savoir ce que tu fais », ajoute Catherine, citant le philosophe Günther Anders.
Pourtant des interventions dans la salle témoignent que la force des récits contraires rend difficile la « massification » des imaginaires portant la vision d’un avenir non dystopique, advenu par des comportements qui sont à changer très vite si on veut avoir une chance de les éviter. D’autant plus que ce sont les sujets polémiques qui sont les plus visibles et viraux.
« La situation dramatique, c’est le changement climatique. »
Les auteurs ont été interpellés aussi sur l’absence de drame, peu attirante pour le lecteur ou l’auditeur, dans les récits positifs sur le futur. « La situation dramatique, c’est le changement climatique, qui n’est pas cool » ; « pas besoin de plus », rétorquent en cœur Catherine et Laura-Lou.
Enfin, ils répondent aussi à l’objection d’irréalisme, d’impossibilité à atteindre les situations et les mondes imaginés dans les récits d’un futur harmonieux. Blandine Chazelle souligne que ces exercices, qui permettent de « s’entraîner à imaginer », n’empêchent pas de « montrer aussi tout ce qui est déjà présent et possible », tout en concédant qu’« on n’est pas sur des chemins faciles. » Et Catherine Redelsperger explique que son processus de travail intègre le souci de réalisme : « Je ne suis pas du tout décrochée du réel actuel dans mes récits ; ce que je décris est déjà existant ou en réflexion. »
Nos intervenants invitent donc à embarquer vers les « eutopies », comme Catherine nomme les histoires racontant « quelque chose qui va bien se passer ». Car elles nous permettent d’être « traversés par la joie », dit-elle. Rejointe par Blandine qui y trouve « des façons d’aller de l’avant. » Et par Laura-Lou qui affirme pour les fresques une « ambition de reconnecter les participants à leur pouvoir actif. »
« Montrer aussi tout ce qui est déjà présent et possible. »
Elle nous offre pour sa part cette autre citation, de l’anthropologue Jason Hickel, qui devrait nous guider pour inventer les récits et les actions auxquelles ils invitent : « Heureuse coïncidence que ce que nous devons faire pour survivre est aussi ce que nous devons faire pour être heureux. »
Autorisé (pour une fois) à intervenir et poser des questions durant toute la longueur de la table ronde, l’auditoire, en fin de séance, a été convié à exprimer ce avec quoi les uns et les autres repartent. À quelques doutes tenaces prêts, on a surtout entendu l’expression d’un débat nourrissant et lui-même inspirant. Il a été question par exemple de « rendre l’imaginaire sexy », de « se réautoriser le droit à rêver », de « besoin de récits pour moi », de « moins d’éco-anxiété et plus d’espoir »…
Peut-être parce qu’il y avait aussi dans le débat du jour plein de récits, de petites histoires et d’anecdotes. Si vous éprouvez le besoin de vous en nourrir, je vous laisse les découvrir dans le podcast. Ce sera encore plus vivant et inspirant…
Synthèse par Marie-Pierre Demarty
En complément, lire aussi sur Tikographie : > L’éco-fiction imaginée par Catherine Redelsperger rien que pour nos lecteurs : « Tikotopia 2063 : en immersion dans un territoire dissident » > L’entretien avec le « père » du ministère des Imaginaires : « Apprendre à se réapproprier l’avenir », l’objectif et la méthode de Gabriel de Richaud » > Mon dernier article qui, comme annoncé en fin de Rencontre, fait le portrait d’une artiste qui s’emploie à transformer les imaginaires : « La laine locale, fil conducteur de l’artiste Céline Camilleri » > Et enfin, on peut retrouver les vidéos de Monsieur Changement Climatique vers la fin de ces deux articles : « Une chaleureuse communauté, une publication toute fraîche et un scoop planétaire » et « Soirée Tiko 2024 : des fleurs, des fruits et une éclosion de retrouvailles » |
Et pour aller encore plus loin, on peut : > écouter des éco-fictions de Catherine Redelsperger à écouter sur sa chaîne de podcasts > participer à une Fresque des nouveaux récits ; pour les prochaines sessions à Clermont (17 ou 22 avril), inscriptions ici. |
Prochaine Rencontre Tikographie :
Autres ressources
Vidéo : l’éco-fiction « Clermont-Ferrand 2063, la ville tout en équilibres »
Ecrite et lue par Catherine Redelsperger
Les crédits
Merci à la librairie les Volcans d’Auvergne pour le partenariat de réalisation des Rencontres Tikographie pour cette saison, et en particulier à Boris, Philippe, Lénaïc, Olivier et Gaëlle. Merci également au KAP, à Fabrice et à l’Université Clermont Auvergne pour leur accueil.
Merci à nos invités, aux participants et à l’équipe de l’association Tikographie qui porte et organise les Rencontres.
Pour cette Rencontre spécifique ont œuvré :
- Pierre à la préparation éditoriale et à l’animation (en 2063 comme en 2025) ;
- Damien à la prise de son ;
- Marie-Pierre aux photos et au compte rendu.
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