Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
A force de voir des hérissons écrasés sur les routes, on avait pu croire qu’ils étaient pléthoriques.
A force de les écraser – mais aussi d’user et abuser de produits chimiques, de supprimer les haies, de tondre les pelouses ou de balayer les feuilles mortes – on a fini par les rendre presque rares et menacés.
Nous avons pourtant besoin des hérissons.
Martelons-le encore : nous avons besoin de toutes les espèces pour préserver la viabilité de nos territoires, car elles sont toutes interdépendantes dans chaque écosystème.
Y compris nous.
Y compris les hérissons.
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Depuis l’automne dernier, le hérisson d’Europe est inscrit sur la liste des espèces fragiles dans la catégorie « quasi menacées ». Car ses populations sont en forte diminution, particulièrement dans les campagnes, en raison notamment de l’usage des pesticides et autres pratiques nocives pour ce mammifère nocturne, insectivore et hibernant. Résultat étonnant : il s’est « réfugié » dans les zones urbaines et péri-urbaines, où il trouve un accueil un peu plus favorable dans les parcs et les jardins.
- A la suite de l’Atlas participatif de la biodiversité dans la Métropole de Clermont, la LPO Auvergne, avec l’association Panse-Bêtes, a lancé une Mission Hérisson à l’échelle des 21 communes. Il s’agit de recruter le plus possible de jardins volontaires pour créer des zones de circulation propices à cet « ami des jardiniers » gourmand de limaces. Des ambassadeurs bénévoles ont dans un premier temps été recrutés pour sensibiliser les habitants.
- Un jardin volontaire recevra dans un premier temps des représentants de la Mission pour un diagnostic et des conseils de bonnes pratiques, ainsi que des préconisations, voire une aide pour pratiquer des trous de passage dans la clôture permettant une continuité des corridors de circulation de la petite faune. Autres bonnes pratiques pour compléter : disposer des tas de bois, laisser des feuilles et du paillage, avoir un point d’eau accessible en pente douce, des fleurs pour attirer les insectes, boucher les trous, regards et autres pièges…
Le croiriez-vous ? Le hérisson est en train de devenir un animal urbain. Un siècle après les habitants humains de nos campagnes, il prend le même chemin qu’eux. Pas parce qu’il est attiré par les lumières de la ville ou par le boulot à l’usine : il fuit. « Avec la disparition des haies, l’intensification des pratiques agricoles, l’usage croissant des pesticides qui font disparaître les insectes dont il se nourrit, il disparaît des campagnes et on le retrouve davantage dans les zones urbaines ou péri-urbaines. Il y retrouve des conditions de vie plus favorables dans les jardins », explique Gaëlle Giraud, animatrice (entre autres) des atlas de la biodiversité à la LPO Auvergne.
Encore faut-il qu’il y soit bien accueilli, car la vie de ce sympathique petit mammifère, a priori familier de nos contrées, est partout semée d’embûches. Au point qu’il a fait à l’automne dernier son entrée sur la liste des « espèces quasi menacées » de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), ce qui lui vaut d’être aujourd’hui une espèce protégée.
Nocturne et hibernant
Mettons-nous à sa hauteur pour le comprendre. Et à sa temporalité, car le hérisson est un animal nocturne. Chaque nuit, il parcourt entre 1 et 4 km pour chercher sa nourriture : insectes surtout, larves, petits mollusques des jardins comme les limaces – « ce qui en fait un allié des jardiniers », souligne Gaëlle – et pourquoi pas, à l’occasion, des petits bouts de fruits ou autres grignotages qui lui passent sous le museau.

Dans la journée, il se cache sous un tas de bois, un amas de broussailles ou de feuilles, une haie touffue. C’est aussi dans ce type de cachette au sol que le hérisson prépare ses gîtes, qui sont de deux catégories. Au printemps, la hérissonne apprête celui où elle va mettre bas, après un mois de gestation : une portée de 4 à 6 petits qui naissent vers mai-juin, parfois suivie d’une deuxième en fin d’été les années où la nourriture et les conditions de vie sont fastes.
« Leur rythme cardiaque tombe à 4 ou 5 battements par minute. »
À l’automne, vous verrez à nouveau nos compagnons de jardin se goinfrer et préparer une nouvelle planque, cette fois pour lui-même, profitant de l’abondance des feuilles mortes. Car le hérisson appartient à la catégorie de tous ces animaux incroyables qui ont la faculté de se couper du monde et d’eux-mêmes pour passer l’hiver en hibernation. « Ils ralentissent toutes leurs fonctions vitales et leur rythme cardiaque tombe à 4 ou 5 battements par minute. C’est une période où ils sont particulièrement fragiles, où il ne faut pas les déranger », avertit Gaëlle.
Des pièges partout
Mais même lorsqu’ils se réveillent et deviennent actifs, curieux et fouineurs sous leur toison piquante, ils restent vulnérables. Florilège des pièges que nous leur tendons partout : les routes bien sûr, où nous avons le plus de chances de les trouver… écrasés par les voitures ; les pesticides et autres produits chimiques, dont les anti-limaces qui « restent nocifs, même quand ils sont annoncés ‘bio’, et qui ne sont pas utiles si on a des hérissons dans son jardin », souligne mon interlocutrice.
Toujours dans la revue de nos pratiques pas très cools, ajoutez toutes nos manies de vouloir un jardin tiré à quatre épingles : se débarrasser des feuilles mortes, qui plus est en les brûlant (ce qui est d’ailleurs interdit) ou en y allant à grands coups de fourche au risque de blesser un petit dormeur ; être un peu trop porté sur la débroussailleuse ou la tondeuse, ou encore pire, sur la tondeuse automatique qu’on laisse tourner la nuit, quand nos hérissons vont faire leur marché.

Attention aussi aux agissements de Médor : il pourrait être tenté de jouer avec ces curieuses baballes et les blesser avant même de comprendre à ses dépens qu’elles sont recouvertes de piquants. « Attention à ne pas le laisser sortir la nuit, sans surveillance », insiste Gaëlle.
Et si l’ami des jardins a réussi à échapper à tous ces pièges, il lui reste encore les plus redoutables : piscines, regards, cavités aux bordures escarpées dont il ne pourrait pas remonter. Même si, imaginez-vous ça, le hérisson est un bon nageur.
Après l’inventaire
Maintenant que nous avons le tableau général du monde infernal que nous offrons à ce piquant compagnon de jardin, zoomons sur la Métropole clermontoise. Dans ce contexte d’« exode rural », la LPO Auvergne s’est associée à l’association Panse-Bêtes – qui anime un centre de soins pour la faune sauvage à Chamalières – pour lancer une opération au long cours : la Mission Hérisson.
« Cette opération fait suite à l’Atlas de la biodiversité, cet inventaire géant et participatif de la faune et de la flore que nous avons animé de 2019 à 2022 pour Clermont Auvergne Métropole, retrace Gaëlle Giraud. À la suite de cet inventaire, nous avons souhaité proposer des actions concrètes de préservation, pour rendre le territoire plus accueillant pour la biodiversité. »
« Nous avons pu identifier des secteurs de mortalité. »
Parallèlement à d’autres espèces dont le comptage se poursuit, notamment les hirondelles, le hérisson était une thématique assez évidente à mettre en œuvre : animal sympathique, familier, facile à identifier… et nécessitant des mesures de protection. « L’inventaire n’a pas permis de préciser l’état des populations, mais du fait que beaucoup de signalements repéraient des hérissons écrasés, nous avons pu identifier des secteurs de mortalité, qui correspondent souvent à des axes très passants entre des zones d’habitat, par exemple la rue de Fallières, entre le parc Montjuzet et une zone de jardins », explique encore Gaëlle.
Sur le centre de sauvegarde de l’association Panse-Bêtes, découvrir aussi le reportage photo : « Panse-Bêtes, un îlot de préservation et de sensibilisation à la biodiversité en ville » |
Créer des autoroutes
La mission concerne potentiellement tous les habitants de la métropole qui cultivent, aménagent, entretiennent un bout de jardin. Potager, agrément, parc paysager, envahissement d’herbes folles ou petit coin tranquille avec hamac entre deux pommiers… tout le monde détient un peu de pouvoir d’aider nos amis hérissons.
« Le rôle de ces ambassadeurs est de se faire les porte-parole des hérissons. »
Suivant le modèle expérimenté par le Groupe Mammalogique de Normandie dans l’opération Piqu’Caen, qui en a inspiré un certain nombre, dans un premier temps, la LPO s’est appliquée à recruter des ambassadeurs pour démultiplier la sensibilisation. Leur participation à l’inventaire C.Biodiv a aidé à repérer des volontaires ; d’autres étaient déjà des adhérents ou bénévoles de l’association. Lancée en 2023-2024, cette première phase a permis de former une quarantaine de volontaires, et une dizaine sont restés actifs – déménagement, changements de vie, démotivation et autres aléas obligent… « Le rôle de ces ambassadeurs est de se faire les porte-parole des hérissons. Concrètement, il s’agit de sensibiliser à sa cause, de nous aider à recruter des jardins volontaires, et à terme, de participer aux diagnostics. »

Tout ceci en vue de la deuxième phase qui se met en place cette année. « L’objectif premier est de créer des passages entre les jardins, pour former en continuité des corridors de circulation, comme des autoroutes à hérissons », explique Gaëlle.
« Ce n’est pas si simple et il y a des erreurs à ne pas commettre. »
Elle détaille la façon dont les jardiniers seront impliqués : « Le principe, lorsqu’un propriétaire de jardin se porte volontaire, est d’abord d’aller faire un diagnostic. Cela nous permet d’informer et de sensibiliser, de conseiller des aménagements pour créer des passages. Car ce n’est pas si simple et il y a des erreurs à ne pas commettre, sur l’endroit où placer le passage, la façon de le faire, sa taille… On peut aussi réaliser nous-mêmes le passage s’il s’agit d’une clôture souple, et prêter pour quelques jours un piège photographique, c’est-à-dire une caméra qui filme en nocturne et se déclenche au passage d’un animal. Cela permet de repérer la présence effective de hérissons ou d’autres espèces. »

Sur un groupe de jardiniers de la métropole et leurs préoccupations, lire aussi : « A Beaumont, le petit paradis des jardins potagers est en colère » |
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Micro-refuge
Pour mieux comprendre, nous nous invitons chez Hervé, un de ces volontaires qui a accepté la mission d’ambassadeur. Un rôle qui allait de soi pour ce Clermontois adhérent de la LPO depuis 40 ans, et qui n’a pas hésité à déclarer son jardinet de 240 m² « Refuge LPO ». Notre visite permet de le vérifier, notamment à la densité de nichoirs, abris à chauve-souris, plantes à fleurs mellifères, rocailles et micro-grottes pour petits reptiles et même, au milieu d’une pelouse hirsute, une petite mare propice à accueillir des grenouilles ou des libellules.

« Dès qu’il fait beau, ça butine de partout ; ça redonne de l’espoir de voir comment la nature se développe », dit-il en précisant que son petit terrain, sur les pentes des Cotes de Clermont, avait l’allure désertique d’un terrassement il y a quatre ans quand il a emménagé.
« Dès qu’il fait beau, ça butine de partout. »
Depuis, ce passionné de nature a installé ses propres pièges photo. Il a pu recenser et documenter, dit-il, 37 espèces d’oiseaux, dont un épervier, et même un héron cendré venu on ne sait d’où inspecter la mare. Hervé a planté dans son petit carré 67 arbres et arbustes de 37 espèces, dont 20 fruitiers, et veut « encore aller plus loin », assure-t-il, en ajoutant du lierre qui fleurit tardivement, ou des orties pour attirer les papillons inféodés.

Pour découvrir un autre jardin accueillant à la biodiversité, lire aussi le portrait : « Pierre Feltz, maître jardinier-composteur » |
Portes d’entrée
Mais dans ce micro-Eden qui a la chance d’être adossé à une friche où se baladent la nuit des chevreuils et des blaireaux, des renards et des sangliers, ce sont les aménagements spécifiques du « porte-parole des hérissons » que nous sommes venus observer.
« Le hérisson a tendance à longer les bordures, les lisières, les clôtures, donc il trouvera facilement le passage. »
En tout premier lieu, nous nous penchons sur le grillage de la clôture. Dissimulés dans l’herbe, deux passages donnent directement sur la friche et un troisième chez un des deux voisins – « L’autre n’est pas près d’être convaincu », grimace Hervé. Gaëlle apporte les commentaires techniques : « Le trou doit faire au moins 10 cm de diamètre, idéalement 15 cm. Il faut faire attention à bien recourber les tiges du grillage. Le hérisson a tendance à longer les bordures, les lisières, les clôtures, donc il trouvera facilement le passage. Si c’est nécessaire, on peut aménager une petite rampe ou un micro-escalier pour faciliter le passage. »

Les passages, c’est donc la base. L’idéal étant de répandre ces pratiques de petits trous dans les murs et barrières en limites de propriété à l’échelle d’un quartier, ou d’établir des corridors de passage jusqu’aux parcs urbains, aux friches, aux zones de nature…
La circulation est une chose, mais on peut – à la carte – faire davantage pour notre ami le hérisson. Comme on l’a vu, il se nourrit surtout d’insectes ; accueillir le hérisson, c’est attirer sa nourriture : fleurir, bannir les produits toxiques, installer un compost, au besoin un hôtel à insectes…
Les lois de la nature
Et pour ses gîtes, répartir quelques tas de bois, des paillages, laisser au sol des feuilles mortes. « Le tas de bois est là uniquement pour les animaux ; je n’en ai plus l’usage. Et je l’ai installé sur une palette. Les petits animaux comme le hérisson peuvent se glisser dessous et ils sont hors d’atteinte des renards ou des blaireaux », commente Hervé.

Pour l’instant, il constate pourtant peu de passages, sans doute en raison de la présence de blaireaux sur le territoire. Les pièges photos l’ont d’ailleurs confirmé : Hervé a vu un des rares hérissons ayant trouvé (jusqu’à présent) l’entrée du jardin se faire surprendre dans sa déambulation par un de ces prédateurs, sous l’œil impassible de sa caméra nocturne. Scène peu agréable à visionner… mais pas de quoi décourager notre ami de la biodiversité, qui connaît et admet les lois de la chaîne alimentaire, et pour qui c’est tout de même « un honneur » de recevoir quasi quotidiennement la visite nocturne de ce carnivore aux bandes blanches.

Au contraire, multiplier les aménagements favorables au hérisson, espère-t-il, permettra à l’espèce de prospérer et de trouver avec son prédateur un terrain d’entente où les équilibres entre populations peuvent se rétablir. On mentionnera encore parmi ces aménagements l’installation d’un point d’eau accessible, avec au moins un bord en pente douce, où il pourra s’abreuver sans difficulté.
Recrutement en cours
Évidemment, le jardin d’Hervé est un modèle du genre, tel qu’un passionné, ambassadeur de la Mission Hérisson, peut le concevoir. Mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin pour participer à la Mission.
« L’essentiel, c’est de participer à ces couloirs de circulation, d’être prêt à ménager des passages, et d’éviter les mauvaises pratiques qui pourraient lui nuire », insiste Gaëlle. Elle rappelle aussi que tout passage doit se faire en accord avec le propriétaire du terrain mitoyen. Une bonne raison d’aller en discuter avec le voisin, de le sensibiliser, de l’inciter à en parler au voisin suivant et ainsi de suite, pour créer une trame de circulation.
« L’essentiel, c’est de participer à ces couloirs de circulation. »
L’opération n’en est qu’à ses débuts et n’a encore recruté qu’une dizaine de jardins volontaires, ce qui devrait s’améliorer avec l’action des ambassadeurs et de services civiques intégrés à la mission. Car le potentiel est vaste sur les 21 communes de la Métropole, avec ses zones pavillonnaires et la présence de zones naturelles nombreuses en proximité des habitations : que ce soient les Cotes de Clermont, classées Espace naturel sensible, le secteur du puy de Montaudoux, les hauteurs de Ceyrat ou de Chamalières…
Amis jardiniers, si cela vous tente de participer à l’expansion de l’anti-limaces le plus efficace et le plus naturel qui soit, vous voyez ce qu’il vous reste à faire…
En savoir plus sur la LPO Auvergne ici. Et sur l’association Panse-Bête et son centre de sauvegarde de la faune sauvage là. |
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le mardi 15 avril 2025. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf indication contraire. À la une, photo Christian Bouchardy : deux hérissons d’Europe (Erinaceus europaeus) dans un jardin
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