Plateforme entre la recherche en sciences de gestion et le monde économique, l’Open Lab Exploration Innovation s’inscrit dans de nouvelles façons de manager dans un environnement rempli d’incertitudes
Les principaux points à retenir
- Hébergée au laboratoire CleRMa et fondée en lien avec l’Université Clermont Auvergne et l’ESC Clermont, la plateforme Open Lab est née d’un intérêt exprimé par les entreprises au niveau local.
- L’Open Lab se veut collaboratif et fonctionne sur le principe d’une communauté apprenante. Les relations entre les intervenants, les chercheurs et les praticiens ne sont pas cloisonnées.
- L’objectif de ce dispositif est d’animer des débats et explorer des pistes de réflexions pour que les organisations soient mieux armer à réagir à leur environnement au niveau opérationnel.
- Les entreprises participent selon un modèle d’un mécénat financier ou de compétences. Chacune étant logée à la même enseigne pour garantir un temps parole équitable.
- La programmation se fait tous les trois ans. Durant cette période quinze conférences sont prévues (une tous les deux mois) avec des sessions de “débriefing” dans un lieu convial.
- Pour l’avenir, Pascal Lièvre souhaite que la plateforme s’ouvre à de nouveaux partenaires en permettant l’accès aux séances en visioconférence et qu’elle devienne incontournable (en France) pour la mise en relation des chercheurs en management et les entreprises via la publication de travaux communs.
La structure: Open Lab Exploration Innovation
Dispositif d’interaction entre chercheurs et praticiens pour alimenter des réflexions exploratoires et innovantes autour de la gestion des organisations
L’Open Lab Innovation Exploration a été crée par le CleRMa, laboratoire en sciences de management basé à l’Ecole de Management clermontoise. Il est dirigé et animé par Pascal Lièvre [Professeur en sciences de gestion à l’IAE Management] avec l’aide de Frédéric Denisot [chargé de mission innovation à la Chambre de Commerce et d’Industrie du Puy de Dôme].
En 2016, Pascal, Frédéric et Marc Lecoutre de l’ESC Clermont ont créé cette structure informelle dans le but de rassembler des chercheurs et des praticiens (représentants d’entreprises, consultants, mais aussi acteurs du territoire…) en sciences du management, autour des questions d’exploration et d’innovation – dans le cadre des organisations. Sa philosophie est de proposer un nouvel espace de dialogue entre les porteurs de connaissances scientifiques et les porteurs de connaissances expérientielles.
Sur les dernières années, l’Open Lab s’est orienté de plus en plus sur les questions de résilience et sur les situations extrêmes, en lien avec un séminaire interdisciplinaire éponyme élaboré avec d’autres acteurs locaux de la recherche – laboratoire Acté, Magma et Volcans, IHRIM et des chercheurs du Clerma comme Emmanuel Bonnet et Eléonore Mérour.
Conçu comme un “dispositif souple” d’interaction, l’Open Lab propose des conférences récurrentes où des chercheurs présentent devant les membres du club une synthèse de leurs travaux. S’ensuivent des temps de questions, puis d’échange informel et convivial favorisant le partage de pratiques.
Les membres de l’Open Lab participent sous forme de mécénat au bon fonctionnement du dispositif, qu’il prenne une forme financière ou en compétences. En tant que membres d’une communauté apprenante, ils ont accès à un outil collaboratif en ligne reprenant les contenus des conférences (présentations, vidéos, compte-rendus) et de nombreux éléments complémentaires.
L’intervenant: Pascal Lièvre
Professeur en Sciences de Gestion à l’IAE Management ; membre du laboratoire CleRMa ; fondateur et animateur de l’Open Lab Exploration Innovation ; président d’AGECSO
Au sein du CleRMa, Pascal étudie en particulier les nouvelles règles du jeu managérial de l’économie actuelle qui pousse à l’innovation perpétuelle et au besoin de créativité. L’intérêt est aussi porté sur les situations de gestion en situation dite “extrêmes” de l’ordre de l’exploration.
En 2016, Il crée l’Open Lab Exploration Innovation qui rassemble les chercheurs et les praticiens – entrepreneurs au niveau local pour faire face aux défis de l’économie de la connaissance et monter des dispositifs de recherche-action qui soient utiles à tous.
Président d’AGECSO, association pour la gestion des connaissances dans les sociétés et les organisations, il souhaite que la communauté scientifique se retrouve pour favoriser les échanges et faire émerger des enjeux scientifiques en lien avec les retours d’expérience des praticiens.
Crédit photo : UCA (DR)
Accès direct aux questions
- D’où vous est venue l’idée de monter une plateforme telle que l’Open Lab ?
- Quelle était alors l’orientation thématique de l’Open Lab ?
- De quelle nature étaient les besoins des entreprises locales ?
- Quel rôle joue l’Open Lab vis à vis de ces mutations ?
- Cette idée de communauté est importante …
- Comment se déroule le partage entre les entreprises et les chercheurs ?
- Comment se traduit l’apport des entreprises ?
- Elles doivent participer financièrement …
- La recherche est souvent un monde un peu particulier. Rencontrez-vous des difficultés avec certains chercheurs, notamment pour le partage de leurs travaux ?
- Et quid du rôle de l’Université ?
- Quelles sont vos souhaits pour l’avenir de l’Open Lab ?
D’où vous est venue l’idée de monter une plateforme telle que l’Open Lab ?
Je me rappelle avoir été invité par le rectorat pour proposer une conférence sur l’innovation en 2016. Il y avait beaucoup de monde, c’était un succès. A l’issue de la rencontre, beaucoup de personnes [représentants d’entreprises notamment] sont venues me dire que ce qu’on faisait [au sein du CLeRMa] était intéressant et qu’il y avait un besoin, ici même, à Clermont-Ferrand.
Nous avons organisé une rencontre entre PME-PMI innovantes et chercheurs. Elle a duré de 17h à minuit après un dîner (…), l’idée du Lab est née.
Parmi ces gens-là, il y avait Frédéric Denisot [chargé de mission Innovation à la Chambre de Commerce et d’Industrie du Puy-de-Dôme]. Des choses étaient possibles à proposer entre chercheurs et entrepreneurs.
Voulant aller plus loin, nous avons organisé une rencontre entre une dizaine de PME-PMI innovantes et une dizaine de chercheurs. Elle a duré … de 17h à minuit après un dîner. Des questionnements ont émergé et l’idée du Lab est née.
Quelle était alors l’orientation thématique de l’Open Lab ?
L’Open Lab Exploration Innovation se positionne sur l’axe de recherche Alter-Management, potentiel humain et innovation, et plus particulièrement sur le programme Management des Situations Extrêmes au sein du CLeRMa. C’est le laboratoire de recherche en management de l’Université Clermont Auvergne et de l’ESC Clermont. Nos travaux commençaient à prendre de l’ampleur grâce à nos publications reconnues au niveau national et international sur des questions d’exploration et d’innovation en entreprise.
Cependant, en local, l’écosystème clermontois n’en bénéficiait pas vraiment, c’était aussi l’envie de partager notre travail auprès du tissu économique local [qui nous animait].
De quelle nature étaient les besoins des entreprises locales ?
Il y avait un souhait de construire des connaissances et d’avoir de nouveaux cadres cognitifs pour comprendre les choses. Certains patrons de PME sont venus nous voir en nous disant: “on ne comprend plus grand-chose à ce qui se passe dans notre environnement. Il y a une quinzaine d’années, on était plus à l’aise, [mais, maintenant] nous n’avons plus les bons réflexes pour agir correctement”. Il y a donc eu une rupture managériale que certains n’ont pas réussi à saisir. On nous a demandé de l’aide !
Il y a eu une rupture managériale, certains [entrepreneurs] n’ont pas réussi à la saisir. Ensemble, nous pouvons progresser (…) pour saisir les nouvelles règles qui s’imposent.
Globalement, le monde est en rupture sur le plan économique, sur le plan technologique, sur le plan social. De plus en plus d’entreprises testent de nouvelles choses, certaines réussissent, d’autres échouent. Ensemble [chercheurs et praticiens], nous pouvons progresser pour comprendre ces mutations et saisir les nouvelles règles qui s’imposent aux entreprises.
Quel rôle joue l’Open Lab vis à vis de ces mutations ?
Il joue le rôle de communauté apprenante qui rassemble chercheurs et praticiens et joue un rôle expérimental dans ce sens. Et c’est ça qui est intéressant, les entreprises apprennent beaucoup de choses, ça ne va pas seulement dans un sens.
L’idée est de rendre les connaissances scientifiques plus facilement disponibles aux entreprises et de construire le futur avec elles. Finalement, on peut le voir comme une nouvelle interface pour discuter des apports possibles de la recherche aux questions que se posent les praticiens au quotidien.
L’Open Lab est une communauté apprenante et joue un rôle expérimental dans ce sens.
Il ne faut pas voir l’Open Lab comme une opération dédiée uniquement à des chercheurs. On a un esprit de symétrie, à savoir qu’un cas vécu et expérimenté par un praticien vaut autant qu’un savoir scientifique. C’est notre perspective de recherche.
Cette idée de communauté est importante …
Oui, c’est l’essentiel, selon moi. L’Open Lab est avant tout une communauté épistémique. Notre thèse, notamment issue de Patrick Cohendet [professeur d’économie à HEC Montréal, spécialisé dans la gestion des connaissances], est que la configuration sociale la plus propice pour partager des connaissances, c’est la communauté ! Les entreprises verticales, hiérarchiques, ont du mal à produire des connaissances car elles sont à l’opposé des communautés.
La configuration sociale la plus propice pour partager des connaissances, c’est la communauté !
Beaucoup de chercheurs depuis 30 ou 40 ans ont été capables d’exposer les bases de ces communautés de pratique et des règles du jeu qu’elles sous entendent. Cette communauté est un objet de recherche, et nous en sommes des praticiens.
Cependant, les choses ne doivent pas être trop formelles. Il faut laisser un espace entre les relations institutionnelles et personnelles. L’esprit communautaire se traduit dans l’absence de présence obligatoire et dans l’évolution des personnes “moteurs” selon les périodes. La communauté permet ces ”passages” et autorise plus facilement les interactions avec les gens à l’extérieur de la communauté. Une entreprise classique ne le permettrait pas !
Comment se déroule le partage entre les entreprises et les chercheurs ?
Il y a un programme de conférences planifié sur une période trois ans avec un objectif d’environ 15 événements qui se déroule à l’IAE de Clermont-Ferrand. Pour compléter ce dispositif, un “Open café” est prévu le mois suivant la conférence afin de débriefer de manière conviviale les interventions qui ont eu lieu.
A partir de là, il faut trouver les bons intervenants intéressés pour parler à des praticiens, qui soient reconnus dans leur champ de compétences. Comme ce champ d’exploration innovation prend de plus en plus d’importance, il y a beaucoup de choses … Il y a des gens qui font de bonnes interfaces, qui écrivent des livres grand public, qui participent à des colloques, etc. A vrai dire, ma position d’universitaire travaillant sur ces sujets me facilite la recherche d’intervenants. Je reçois beaucoup de livres ou de travaux sur ces sujets !
Cela dit, il s’agit quand même d’un travail très prenant : il faut gérer à la fois pour les entreprises et pour nous, les chercheurs, tout en gardant le côté convivial des discussions.
Comment se traduit l’apport des entreprises ?
Elles nous interpellent, elles nous bousculent, elles deviennent aussi des terrains d’expérimentation. Par exemple, plusieurs sujets de thèse sont des réponses à des questions posées par les praticiens. L’enjeu est aussi que les entreprises récupèrent le travail pour des problèmes qui se posent sur le terrain et que les entreprises deviennent des terrains de recherche pour des étudiants, et peut-être des thèses futures.
Elles nous interpellent, elles nous bousculent, elles deviennent aussi des terrains d’expérimentation
Je me répète mais c’est important : l’idée est de rendre disponible la recherche pour les entreprises et de construire avec eux.
Elles doivent participer financièrement …
L’engagement des membres de l’Open Lab se fait grâce à un mécénat financier ou de compétence. Le montant est de 3000 € par an, et permet de garantir un droit de parole équitable et symétrique pour tous, aussi bien les grosses entreprises comme Michelin, la SNCF, ENEDIS que les start-ups ou les PME.
Il est important que la cotisation soit la même pour que tous puissent s’exprimer de manière équitable et symétrique lors des événements. J’en suis le gardien.
La recherche est souvent un monde un peu particulier. Rencontrez-vous des difficultés avec certains chercheurs, notamment pour le partage de leurs travaux ?
C’est vrai, certains chercheurs ont des postures dites “classiques”. Ce n’est pas un jugement de valeur. Ils peuvent simplement être moins à l’aise à partager leur travail avec des praticiens.
Mais ce qui est important, c’est que cela soit reconnu. L’objectif est que l’Open Lab devienne incontournable pour mettre en relation la recherche et le management. Nous restons modestes avec nos moyens très raisonnables, mais nous n’avons pas à rougir de ce qu’on fait !
Tous nos collègues chercheurs de niveau national ou international sont surpris du niveau du débat et de la richesse des interactions. Et si un jour l’Open Lab n’apporte plus suffisamment à ses membres, il s’arrêtera. C’est aussi une des clés de la communauté, qui vit en fonction du niveau d’engagement des acteurs.
Et quid du rôle de l’Université ?
Il s’agit de renouveler les rapports qu’elle entretient avec les entreprises en trouvant d’autres formes de partenariats en intégrant des étudiants ou des doctorants pour réfléchir avec elles sur différents sujets qui les intéressent.
Par exemple, avec le Crédit Agricole Centre-Loire (Bourges-Nevers), on voudrait travailler sur la démarche d’entreprise libérée [forme organisationnelle dans laquelle les salariés sont libres et responsables d’actions – plutôt que leur hiérarchie] et créer une cellule d’appui pour que l’entreprise puisse avancer dans ce changement de paradigme. Cela peut se faire par des thèses financées par l’Etat pendant 3 ans où le coût pour l’entreprise est relativement réduit et l’étudiant devient salarié de celle-ci.
Quelles sont vos souhaits pour l’avenir de l’Open Lab ?
Ce que je souhaite, c’est de rééquilibrer le duo entre chercheurs et praticiens. Il faut engager des jeunes chercheurs au sein de l’Open Lab et avoir davantage de situations de co-écriture avec les praticiens. C’est particulièrement intéressant !
Par ailleurs, [l’Open Lab] est encore trop confidentiel. Le problème est que l’on ne peut pas travailler à 100 ou 200 ! Nous devons réfléchir à trouver des dispositifs avec de la visioconférence par exemple pour élargir la possibilité que d’autres acteurs nous suivent de manière plus continue.
Ce que je souhaite, c’est rééquilibrer le duo entre chercheurs et praticiens.
Il faut aussi conserver la grande variété de partenaires au niveau local (institutions, startups, entreprises culturelles, consultants RH, cadres de R&D, etc.) avec des nouveaux arrivants et des personnes qui s’écartent du dispositif mais c’est logique! Le fait que Clermont-Métropole soit présent est important, on espère que le département y participe également à l’avenir.
Synthèse d’entretiens réalisés par Damien Caillard entre 2019 et 2020, avec l’aide de Virginie Rossigneux, mis en forme et réorganisés pour plus de clarté par Bastien Durand, puis relu par Pascal Lièvre ; crédit photo : éditeur